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19 février 2008 2 19 /02 /février /2008 14:26

Une classe infernale

Contrairement aux apparences, la rentrée ne sera pas si joyeuse pour tout le monde. J’apprends que je vais donner cours en 4LM. Je rencontre pour la première fois le futur titulaire, Joseph Ruwet, chez le R.P. Vincent, préfet de discipline. Je sais de bonne source que cette classe en a fait voir de toutes les couleurs aux professeurs de l’année précédente et j’en fais part directement à Joseph qui, très sûr de soi, tente de me rassurer en illustrant son esprit de décision par un geste significatif du poignet: crac dedans! Il me semble prendre les choses de haut tant il a la réponse rapide, mais il est vrai qu’il n’a pas de temps à perdre: il doit courir à Herve pour compléter son horaire au collège Marie-Thérèse.

Le jour de la rentrée, la 4LM (32 élèves et bientôt 33) est sans son titulaire, qui se trouve occupé au collège de Herve; bizarre! En outre, Joseph sera absent plusieurs jours pour cause de maladie: pas de chance!
N’étant pas moi-même titulaire, je suis sur place, un peu désoeuvré et je m’inquiète. Le père Dedeur

4LM-1969-Ruwet-et-Smetsnn.jpg

1969-70: 4LM. De haut en bas et de gauche à droite :
- Patrick Michotte, Jean-Paul Grandmaire, Jean-Louis Vandenbroucke, Christian Garot, Manu Chaumont, Philippe Stollenberg, Jacques Tristant, Jean-Marc Warnants, André de Valensart.
- Thierry Baclin, Bruno Mersch, Benoît Fettweis, Philippe Bruyère, Philippe Delhasse, Baudouin Bragard, Edouard Grenade, Jean-Pierre Godfirnon, Joseph Lerusse, Bernard Frédérick, Louis-André Linon, Albert Cornet.
- Freddy Michotte, André Delhaye, René Vincent, Henri Neuray, Jean-François Schwaiger, Père Alexis Smets et Joseph RUWET (titulaires), Raymond Déderix, Jean-Marc Mostin, Paul Junker, Jean-Philippe Hennen.
Absents : Joël de Bry, Robert Fonsny et Thierry Marique.

se charge de la classe, mais doit trouver saumâtre d’être ainsi obligé d’accueillir des élèves surexcités de se retrouver après deux mois de vacances. Des élèves qui connaissent le Collège comme leur poche et qui se réjouissent sans doute des bons tours qu’ils vont jouer à leurs futurs professeurs. Je me rapproche discrètement d’une fenêtre ouverte de leur local, situé provisoirement (ça commence vraiment mal) au rez-de-chaussée, et j’estime qu’il y a déjà trop de bruit: je dois intervenir, à la fois pour libérer le pauvre Dedeur et pour calmer le jeu.
J’ai l’avantage de connaître une moitié de ces jeunes, à qui j’ai enseigné en 6e deux ans auparavant. Et puis je sors du service militaire, je suis devenu un homme, quoi!…

Je vais faire du cinéma après avoir appelé discrètement le pauvre Richard pour lui signaler que je peux le remplacer. Il accepte, franchement soulagé. Je suis conscient de jouer mon autorité en quelques minutes, voire quelques secondes. Je claque la porte derrière moi et reste immobile la tête haute et le regard méchant: je dois profiter des trois secondes du silence provoqué par ce bruit sec et fort. Je crie sèchement: "Levez-vous et taisez-vous!" Je mise sur ma taille et ma carrure, et ma tête de boxeur! Pourvu que ça marche. Ils se figent au garde-à-vous, ou presque. Je me dirige alors sans les regarder vers le bureau en montant sur l’estrade du pas le plus solennel que la trouille me permet de garder. Je dépose bruyamment ma serviette sur le pupitre et je leur intime l’ordre de s’asseoir.

En guise de bienvenue, je leur explique à grand renfort de phases courtes et d’intonations sèches que leur attitude est inadmissible. Et, sans transition, toujours sur le même ton cassant, j’énumère brièvement les exigences du cours important qu’ils vont recevoir. J’entame enfin la matière sans autre forme de procès. Je n’ose regarder ma montre, mais le temps me paraît long, si long…

La sonnerie libératrice retentit enfin, soulageant autant les élèves que moi. J’ai gagné une bataille, mais je sens que la guerre sera encore longue. Effectivement. Au total, je m’en sortirai honorablement, abstraction faite du nombre d’échecs…
Ce sera bien plus dur pour certains de mes collègues, et d’abord pour leur pauvre titulaire.

Heureusement, ce genre de groupe ne se rencontre pas souvent. Au Collège du moins! Je dois m’empresser de clamer que c’est une profession exigeante, mais enthousiasmante. Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est le plus beau métier du monde, mais je dois témoigner que j’ai rencontré beaucoup de professeurs heureux et que je ne regrette rien, même pas ces moments difficiles: ça forme le caractère!

Joseph va en voir des vertes et des pas mûres avec ces 33 gaillards. Il ne se laissera pas faire, mais sera très heureux de voir la direction intervenir d’une façon radicale, unique dans les annales du Collège, à ma connaissance.

J’ai retrouvé le cahier de conseils de classe de cette 4LM où on relate une réunion de parents exceptionnelle dirigée par le Recteur et le Préfet des Etudes. La plupart des parents sont présents. La discussion est franche mais tendue: les parents sont bien conscients des problèmes posés par leurs fils, qui sont loin de ramener des résultats encourageants. Tout se tient. Ce soir-là, Mme Fettweis (dont le fils aîné, frère de notre Christophe, est 1er de classe) me reproche de donner des punitions bêtes, du genre «calculer 1732». Je lui réponds aussi sec que ma méthode marche: pour moi, c'est l'essentiel! On est tous à cran ce jour-là.

En clair, personne ne voit de solution. Le père Recteur va alors sortir de son chapeau une solution miracle: le père Alexis Smets – homme discret et cultivé, non affecté à l’enseignement à cette époque, mais membre de la communauté locale –  va prendre la moitié de la classe pour les cours de Joseph Ruwet, qui pourra survivre jusqu’au 30 juin dans de bien meilleures conditions. Et ce sera tout profit pour l’ambiance du groupe. Voilà une solution qui est aujourd’hui impensable. Certes, les autres professeurs de la classe tireront le gros boulet jusqu’à la fin de l’année, mais je crois qu’il était impossible de faire mieux.
D'après des gens bien placés pour en témoigner, il n'y avait que 2 profs qui n'étaient pas chahutés: André Beaupain et moi. Un vrai tour de force pour André qui n'avait qu'une heure par semaine avec eux. Il n'enseignait à cette époque que la géographie, mais dans toutes les classes.

Quand on parle entre profs de cette classe mémorable, on cite simplement le nom du premier par ordre alphabétique: Thierry Baclin (photo ci-contre, à droite),  et tout le monde sait de quoi on parle. Bien entendu, tous ces  galopins n’étaient pas de futurs bandits (aucun, d’ailleurs). Il y avait même sur ces bancs Manu Chaumont (à gauche, à 14 ans puis à 15 ans: quel changement!), actuel professeur d’éducation physique; c’est vous dire…

A côté de ces cours difficiles, entrer en 4LG est un véritable charme, à coup sûr un des meilleurs groupes que je rencontrerai au Collège. Comme par hasard! Ceux-ci vont même accepter une heure de maths en plus, sur le temps de midi du de-lannoy-necro-nn.jpg
 v
endredi, et ils seront tous là chaque fois: je les ai convaincus que le programme (de maths modernes) était trop lourd pour être vu en 3h, le temps qui nous était imparti. Il faut savoir que la direction avait le choix entre donner 3h ou 4h de maths par semaine et, réciproquement, 5h ou 4h de français (les fameuses heures à astérisque). A partir de l’année suivante, l’horaire de maths est passé au maximum et…inversement en français, dans toutes les cinquièmes et toutes les quatrièmes; c’était déjà le cas depuis longtemps à Saint-Michel. Avec le R.P. de Lannoy, on pouvait discuter.


Place Verte le 15 juin 2013

J’intercale ici un souvenir tout récent. Le vendredi 14 juin, je reçois via le présent blog un message de Roger Ortmans (4LG 1969-70, voir Souvenirs 8) que je n’ai plus vu depuis juin 1973, soit 40 ans! Il vient de lire mes Souvenirs 8 et 9 et, du coup, m’invite à venir prendre l’apéritif avec sa Rhéto (1973) le lendemain, au Vieux-Bourg!
Je n’en reviens pas. Mais j’hésite: je n’étais pas leur prof en Rhéto et ça va faire bizarre pour les autres Anciens et pour les autres profs invités… Et puis mes petits-fils viennent souper ce samedi. Et d'ailleurs, c’est un peu cavalier de m’inviter la veille! Les devoirs familiaux passent en premier, certes! Mais j'ai beau me persuader que je devrais décliner poliment l'invitation, l'envie de courir les rencontrer me tenaille; n'est-ce pas une occasion unique? Et puis le cœur a ses raisons…

Et voilà comment je me suis retrouvé le samedi 15 juin attablé place Verte avec une série d’Anciens que je ne reconnaissais pas, en tout cas pas tout de suite, et pas tous.
J’étais déjà perturbé par le fait que Jean-Marc Warnants n’était plus le plus grand, mais j’ai bien reconnu le détachement affiché par Jean-Philippe Hennen. J'ai profité de la ressemblance de Michel Dheur avec son père et la similitude de traits entre les Jacques (Philippe est pratiquement le jumeau de François-Xavier, notre doyen). J'ai retrouvé la figure enfantine de J.J. Letesson et son sourire avenant, la sérénité attentive 
de Roger Ortmans, l’attitude à la fois sympathique et conquérante de Georges Dumoulin, une sorte de timidité souriante chez Jean-François Schwaiger et l’art de passer inaperçu de Bernard Gille. J'ai découvert l'imposante et surprenante personnalité de Vincent Auvray, toujours l'air un peu absent, mais j'ai retrouvé avec bonheur le fin sourire narquois de Luc Benoît, la bonhomie d’Henri Neuray, le style conquérant de Robert Legros  mon voisin de table  et le calme olympien d’Albert Cornet. J'ai découvert la prestance de Jean-Pierre Latour, un rien détaché  ce n’est manifestement plus le nain de la classe , et j’ai trouvé Claude Hanet plus épanoui, sûr de lui. Quant à Pierrot Jamin, je le connais trop! Pour les quelques autres, panne totale de mémoire. Il est vrai que trois d'entre eux n'avaient jamais subi mon enseignement.

Sur la photo de groupe prise ce jour-là, je devrais maintenant tous les reconnaître: avant de noter les noms, je vais quand même demander confirmation à l'un d'entre eux!

Curieusement, je suis le seul prof présent (à l'extrême droite de la photo, la tête penchée). D'autres étaient-ils invités?


  Anciiens-Rh-73--O.JPG

Celui qui me tire l’oreille mais qu’on ne voit pas, c’est un ancien élève aussi: Jean Liégeois (54 ans), policier et maître-chien bien connu à Verviers (photo ci-dessous).

           STP82656.JPG
Je m'attendais donc à revoir seulement une bonne partie de la Rhéto LG de 1973 dont voici la photo officielle. 
1972-73-ddd-rheto-LG--charlier.jpg


1972-73: Rh.LG
- Au-dessus: Pierre Jamin,  Roger Ortmans,  
Jean-Jacques Letesson, Jean-Marie Depouhon, Jean-Paul Mauhin, Michel Dheur.
- 2ème rang : 
Robert Legros.Jean-Pierre Latour, Claude Hanet.
- Assis : Vincent Auvray, Jean-Claude Bertrand, Pierre François, R.P.Jean Charlier, M. Louis De Donder, Luc Benoît et  Georges Dumoulin,

Non, en fait les deux Rhétos étaient réunies. Se retrouvaient là aussi les rescapés de la fameuse 4e LM, que j'ai appelée « classe infernale » au début de ce chapitre. Evidemment, n'arrivèrent en Rhéto LS que les plus vaillants...  
L'apéro, sous un doux soleil trop longtemps attendu (printemps pourri en 2013), dura plus de deux heures, de quoi entendre Georges Dumoulin raconter par le menu – on n'est pas avocat pour rien – les frasques inattendues de ces jeunes gens 
« bien sous tous rapports ». Chaque histoire m'était confirmée par Robert Legros, toujours très carré dans ses affirmations.

J'ai ainsi appris que ces élèves de LG se croyaient mal aimés par le R.P.Buyle, qui leur reprochait un manque flagrant de maturité. Ils se plaignaient aussi du comportement d'André Beaupain, leur prof de géographie durant 6 ans! Il leur avait tenu un discours décourageant lors de son dernier cours, leur prédisant – leur souhaitant! – les pires catastrophes.
Je ne comprends pas cette attitude de mon collègue (presque idolâtré par certains élèves quelques années plus tard), mais je me souviens parfaitement de la déception de Roger Ortmans, un jour de juin 1973, me confiant son dépit d'avoir entendu André Beaupain exprimer des propos désabusés sinon hostiles. 

Ces braves (!) élèves le firent chèrement payer à mon collègue André tant le jour de la remise des bulletins que lors de leurs premières retrouvailles, 20 ans plus tard. La boîte à lettres de son domicile (sis à Ewèréville: «Ça ne s'invente pas, précisait Roger») était copieusement arrosée par les plus excités de ces garnements! Vous avez compris?...
Jean-Jacques Letesson, avec son air angélique, m'apprend que Jean-Marie Delobel ne le supportait pas: il se retrouvait régulièrement exclu de la classe; je lui ai  fait répéter tant ça me paraissait incongru.  

J’avoue que je n’ai pas tout gobé des propos rapportés: on a tendance à en remettre lorsqu’on parle du «bon vieux temps».

Luc Benoît, après m'avoir rappelé son nom, s'empressa de m'annoncer qu'il était devenu médecin, comme si c'était inimaginable pour moi. Si je ne l'avais pas déjà entendu dire, je crois que je serais tombé de ma chaise...
D'autres aussi avaient 
«bien réussi dans la vie», mais ils n'en parlaient pas, on n'était pas là pour ça.
Après le deuxième verre de vin blanc, n
ous avons reçu un coup de fil en direct du fin fond de la France. Benoît Fettweis 
– installé dans la région de Béziers – prenait des nouvelles du vin de son cru, généreusement offert pour l'occasion. Très apprécié, d'où un unanime "Meerci Benoît, meerci Benoît, meerciii!».

J'ai encore eu le plaisir de parler plus personnellement avec Albert Cornet, incontestablement un type bien, avant la photo traditionnelle. A 20h, il était plus que temps pour moi de regagner mes pénates. 

             
Je dois ajouter que je rencontre régulièrement Pierrot Jamin: nous faisons tous deux partie de la confrérie des Cliniclowns de Verviers (voir photo ci-dessous) 

            Clown Pyjama 2013                  


Petite anecdote: peu avant de quitter cette fraternelle assemblée, la place Verte, joyeusement décorée à l'occasion du jogging des enfants des écoles, vit deux bandes de jeunes Noirs1 s'affronter violemment: des Verviétois contre des envahisseurs liégeois. Ces derniers, sans doute surpris par le déploiement policier en cette journée festive, détalaient comme des lapins, sautant lestement les cordes délimitant le parcours, en direction de la rue du Brou. Il paraît que ces groupes d’adolescents n’en étaient pas à leur coup d’essai.

          Anciens-1973-place-du-Martyr-copie-1.JPG
Si mes renseignements sont bons, le souper des retrouvailles s’est très bien passé et s’est terminé par un (un?) pousse-café sur la place du Martyr.
Une réunion très pacifique: autres temps, autres mœurs!      
      
 

 Le quotidien Le Jour Verviers (pages locales de L'Avenir) relata ce fait divers sans mentionner une seule fois que ces jeunes gens étaient tous noirs de peau, ce qui était pourtant surprenant et bien visible: de l'antiracisme à l'envers!

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