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17 septembre 2009 4 17 /09 /septembre /2009 16:00

1993: disparition des meilleurs


1. Une personnalité du Collège

En relisant La Toque Anciens de juin 1993, j’apprends le décès du père Léon Rinen (Rh38), qui a donné cours quelques années au Collège, au début des années 70, je crois. Il était surtout professeur de religion dans le cycle inférieur et s’occupait du cinéma. J’ai le souvenir d’un homme affable, toujours de bonne humeur, aimant particulièrement le contact humain, mais qui fumait autant que moi! J’ignorais qu’il avait fait ses études à Saint-François-Xavier.

Pour le Collège, la disparition du père Nestor Bodaux (photo ci-contre) dans sa 93e année le dimanche 31 janvier 1993 est un événement particulièrement triste. La Revue SFX l’annonce en mentionnant qu’il a passé toute sa vie au Collège, d’abord comme professeur de Poésie, puis comme titulaire de Rhétorique et enfin comme préfet des études. On relate que ses dernières paroles furent encore pour son cher Collège: «Père, demandez au père Recteur de venir me chercher pour la fancy-fair au Collège, cela me fait tellement plaisir!»
Dans son homélie, lors de la messe pour le repos de son âme en l’église du Sacré-Cœur, le père recteur Robert Huet parle de la mystique du P. Bodaux comme d’une «mystique du quotidien banal». C’était une mystique de simplicité, de proximité, d’attentions à ses proches, à sa famille et surtout à ses anciens du collège SFX, ajoute-t-il. Homme de fidélité, il confiait chacun de ses amis à la Vierge Marie.
Je dois dire que je n’ai jamais entendu parler du père Bodaux par ses anciens qu’avec une admiration dans la voix, un respect profond et une sincère gratitude. Je les comprends pour l’avoir côtoyé de près quand j’étais jeune prof (voir SOUVENIRS 37 - 3. des vocations anciennes).

2. Une maman dénonce sa fille

Mais la vie continue. Nous sommes le jour du bilan de math de juin 1993. Je surveille normalement cet examen de 3e, c’est d’autant plus facile que j’ai depuis quelque temps pris l’habitude de faire des questionnaires différents selon que l’élève se trouve à gauche ou à droite du banc. J’évite ainsi au maximum les regards obliques intéressés.

Je rentre chez moi vers 12h30 et je reçois immédiatement un coup de téléphone pour le moins surprenant de la maman de Florence, élève de la classe que je viens de quitter une demi-heure plus tôt. Lorsqu’elle décline son identité, j’ai un réflexe de rejet: ça ne se fait pas de téléphoner à un prof pendant les examens, c’est du simple bon sens. Mais je n’ai pas le temps de lui faire part de mon refus qu’elle m’a déjà dit l’essentiel de son message (j’ai gardé en mémoire ces paroles étonnantes): «Monsieur Janssen, Florence a copié lors de son examen et vous allez vous en apercevoir.» Je suis abasourdi, je bredouille une réponse montrant mon étonnement, mais affirmant du même coup ma liberté de jugement.

Je me demande comment elle peut prévoir que je vais m’apercevoir de la tricherie de sa fille. Je décide de ne rien changer à mes habitudes et je corrige donc question par question, et non copie par copie, en séparant bien les droites des gauches. Rien à signaler pour Florence, à part qu’elle n’est pas en train de réaliser un score mémorable. Puis, subitement, les propos de la maman s’éclairent. A une question bien précise, Florence, qui se trouvait du côté droit du banc, a exactement la même réponse (correcte) que sa voisine. Or les questions ne sont pas identiques. Je tiens le corps du délit. Il faut dire que les deux énoncés se ressemblent comme de vrais jumeaux, à une donnée près. A croire que l’auteur des questions (moi) l’a fait exprès… Non, ce n’est pas beau de tenter le diable… mais ça paie!

Je me suis souvent interrogé sur les motivations de la maman. Mais j’ai agi comme si je n’avais rien entendu, comme si ma mémoire avait occulté cette intervention intempestive.

Inutile de vous dire que je corrige la copie de cette tricheuse avec toute la rigueur dont je suis capable. Si je suis la procédure, je dois simplement annuler la question concernée – qui est déjà nulle! – et envoyer l’élève chez le préfet de discipline qui lui appliquera le tarif, soit 2h de retenue: c’est un véritable encouragement à la malhonnêteté! J’appliquerai un régime personnel mieux en rapport avec la faute commise. Elle en sera quitte pour repasser une épreuve sur cette matière au mois d’août. Epreuve réussie avec 80%: très bien! Tu vois, quand tu veux, Florence...

Cette année-là, je donnais cours en 2 C à Jean-Philippe Thonnart (Photo d'époque), mon futur collègue, qui avait tenté de me mener par le bout du nez (voir SOUVENIRS 23).

3. Une bien triste Saint-Ignace

Le 31 juillet 1993, jour de la Saint-Ignace, tombe un samedi. C’est traditionnellement le jour où les jésuites apprennent les grandes décisions de la Compagnie, comme les nominations du Général, du Provincial ou des Recteurs de Communautés, ou encore leur nouvelle «affectation».  C’est ce qu’on appelle les status. A défaut de décision importante, c’est tout de même la fête de leur saint fondateur, donc c’est un jour de réjouissances. 

Au Collège, toute la Communauté se retrouve à l’église du Sacré-Cœur (photo ci-contre) pour la messe solennelle. Plusieurs «obligés» et quelques sympathisants viennent traditionnellement renforcer l’assistance des messes «non obligatoires». Outre les directeurs du primaire et du secondaire du Centre scolaire, on y rencontre souvent quelques professeurs ou instituteurs, mais pas d’élèves, évidemment. Malgré notre présence, la moyenne d’âge doit dépasser les 70 ans, l’avenir n’est pas rose pour la Communauté, donc pour la présence des jésuites au Centre scolaire.

Ce jour-là, après avoir assisté à ladite messe, nous sommes invités comme tout le monde à prendre l’apéritif offert par la Communauté. Puis nous (Joseph Ruwet, Jean Gillot, Jean-Louis Hamès et moi) prolongeons celui-ci à La Fontaine: il fait particulièrement chaud ce jour-là.

Nous sommes heureux de nous retrouver dans une ambiance détendue: il reste encore un mois de vacances, belle perspective. Désaltéré et sans doute pressé par une contrainte familiale, je quitte mes collègues sur un ironique «à bientôt» et remonte la rue de Rome pour traverser le Collège et récupérer mon Opel Kadett bleue dans le parking (le seul à l’époque), bien à l’ombre des arbres du côté de la piscine. Mais le parking est vide, plus de Kadett, ni bleue ni rouge! Ma tête… Je suis K.-O. debout. Ma voiture disparue! Volée? Je n’y crois pas, ou plutôt je ne veux pas y croire: elle est dans un parking privé, portières et coffre fermés à clé… Le temps de me ressaisir et je pense à téléphoner à la police, mais le Collège est fermé et les jèses festoient. Comme je n’ai pas de GSM (cet ustensile n’a pas encore envahi la planète), je redescends presque en courant la rue de Rome et je rentre à nouveau à La Fontaine, où mes collègues sont surpris de mon retour aussi rapide. Je téléphone… chez moi: on ne sait jamais – non, je ne pense pas que ma voiture soit retournée toute seule, comme un bon cheval –, ne serait-ce pas mon épouse qui serait venue chercher l’Opel avec ses clés, sans me prévenir? Je suis mal accueilli: cette question est vraiment trop bête et l’annonce de la disparition de la voiture a le don d’énerver ma femme. Elle me culpabilise tout de suite. Je lui parle comme un élève pris en flagrant délit de copiage et elle me répond comme le professeur fâché de découvrir cette fraude. Je raccroche très découragé et appelle la police... pour m’entendre dire par le planton de service qu’on ne prend pas de déclaration de vol par téléphone! Prière de passer au commissariat, rue de la Tuilerie, au bas du thier Mère-Dieu. C’est décourageant, le gars qui me répond au téléphone n’est même pas compatissant, lui non plus.

Je me présente dans ce local de police – un véritable taudis! – où le seul policier présent (l’autre est en heure de table) est occupé avec un homme qui signale d’une voix forte, comme s’il était lui-même malentendant, la disparition de sa… belle-mère du home où elle était placée! Entre-temps, ma voiture avec ses nouveaux occupants (les salauds!) doit être depuis longtemps en Allemagne ou à Maastricht. Je repasse inlassablement mon avant-midi dans ma tête: je parque ma Kadett en dessous des arbres – pour le soleil –, je la ferme consciencieusement à clé. Je me dirige d’un bon pas vers l’église du Sacré-Cœur pour assister à la messe de la Saint-Ignace – pourquoi aller à la messe un samedi-matin? je n’y suis pas obligé – et c’est sans doute à cet instant qu’un malfrat, habillé comme un quidam, signale à son complice que la voie est libre; le pigeon en a pour une bonne heure avant de sortir. C’est trop facile le jour de la Saint-Ignace, il n’y a plus personne en dehors de l’église. Dans le fond, c’est de la faute de saint Ignace (photo de gauche). Saint Ignace? Le patron des voleurs…

Je ne sais pas pourquoi je n’imagine même pas qu’on pourrait l’avoir volée pendant l’apéro.

Quand le policier me reçoit enfin – l’autre, celui qui était en train de manger –, je m’aperçois que c’est son pain quotidien (si j’ose dire), le vol de voitures. Il commence par me demander le certificat d’immatriculation et les papiers d’assurance du véhicule. Moi, énervé: «Mais ils sont dans ma voiture qui a été volée, justement.» Lui, prenant un ton professoral: «Calmez-vous, Monsieur! Vous auriez pu les prendre avec vous en quittant le véhicule, par exemple, ou en conserver sur vous des photocopies. C’est une sage précaution à prendre, à l’avenir…» C’est ça, pourquoi ne pas prendre une roue ou la tête du delco, tant qu’on y est? Je me vois déjà assis sur ma roue dans le fond de l’église du Collège…

Mais, j’y pense, je dois être assuré pour (ou contre?) le vol. Très bien, me dit l’agent, mais vous devez savoir qu’on doit attendre au moins deux mois pour que l’assureur considère votre véhicule comme volé. Je suppose qu’entre-temps il est considéré comme emprunté... En tout cas, me rassure-t-il, si on la retrouve avant, on vous fera signe. En voilà une bonne nouvelle! Il ne me reste plus qu’à attendre après avoir prévenu mon assureur. Et prier saint Antoine de Padoue (un franciscain, lui; image ci-contre): «Saint Antoine de Padoue, faites que je retrouve ce que j’ai perdu!» C’est mieux en wallon, ça rime.

J’attendrai donc. Tout bien réfléchi, je ne dois rien dramatiser, je ne suis pas le premier à qui on vole sa voiture, et on n’en meurt pas, que je sache. En plus, durant les vacances, je peux m’en passer assez facilement, c’est une question d’organisation. Je suis sans doute moins à plaindre que celui qui venait signaler la disparition de sa belle-mère, sans penser à l’état de ma femme… Une voiture, ça se remplace.

Le lendemain matin, catastrophe! Une vraie, cette fois. J’apprends par la radio la mort de notre roi, le roi Baudouin (photo ci-contre)! J’en suis tout retourné, mon épouse aussi. Je vais vivre trois jours pratiquement scotché devant la TV. L’émotion dans le pays est à son comble; tout le monde (ou presque) l’aimait bien, Baudouin. Il régnait sur la Belgique, non, sur les Belges, depuis 1951, j’avais alors 7 ans, l’âge de raison. Je n’aurais jamais imaginé que son décès m’aurait touché à ce point-là. Je vois des gens pleurer et je les comprends. J’en ai moi-même les larmes aux yeux: les larmes, c’est communicatif, même à la télévision. Je, pardon, nous ne nous sommes jamais sentis aussi belges qu’en ces jours de deuil national. Dommage qu’il faille des circonstances pareilles pour s’en apercevoir. Voyant cette foule de compatriotes défiler digne, respectueuse, courageuse, j’ai l’impression que toute la Belgique se trouve au même endroit, dans ces files interminables. J’ai envie de pousser jusqu’à Bruxelles pour saluer la dépouille de notre souverain.

La TV agit surtout sur les sentiments, c’est vrai. A tête reposée, je me rends compte qu’aller à Bruxelles (en train) et passer des heures sans bouger, en attendant que l’on ouvre les portes de la chapelle ardente, par un temps caniculaire, c’est un exploit que je ne suis pas près de tenter. Non, j’irai plutôt signer le registre de condoléances destiné à la reine Fabiola et ouvert à l’hôtel de ville de Verviers.

Et je vais ensuite assister à la messe en mémoire de notre roi Baudouin à l’église P1010884Saint-Remacle. J’arrive assez tôt pour avoir une chaise. J’ai l’impression qu’on en a ajouté pour l’occasion. Sur chacune se trouve un carnet de chants de circonstance. La cérémonie est très priante. Elle se termine par une brabançonne chantée par toute l’assistance debout: ça prend littéralement aux tripes, c’est bien plus fort qu’à la télévision. Je crois que je suis un émotif qui s’ignore. Et je suis sûr d’être terriblement catholique et belge. Mais ce sont des choses qu’on ne peut plus dire aujourd’hui; on serait suspecté de franquisme (non, les gens ne savent plus ce que c’est), de fascisme (pour ceux qui ont terminé leur Rhéto sans grèves – voir SOUVENIRS 42: 3. Essayez l’ignorance), ou pour le moins de tendances réactionnaires. Prudent, je ne parlerai de mes sentiments qu’à des gens convaincus, et encore, avec des mots prudents, mesurés, comme un sage qui prend de la hauteur. Comme un jésuite, quoi.

Ma Kadett bleue? Ah, oui, on l’a retrouvée trois jours plus tard, dans un parking près de Sainte-Claire; il ne lui manquait que l’autoradio. Un détail.

Oui, mais je me rappelle surtout la prestation de serment d’Albert II (photo de gauche): sa tête tremblait à faire peur. Les médecins-spécialistes expliquaient le lendemain à la radio et à la TV qu’il s’agissait sans doute d’un tremblement fondamental. Et alors? Serait-ce un nouveau Jean Paul Ier(photo de droite)?

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