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21 octobre 2009 3 21 /10 /octobre /2009 18:55

1994: année faste

Ce titre ne convient évidemment pas pour le Rwanda: entre le 6 avril et le 4 juillet, on estime que quelque 800 000 Rwandais, en majorité Tutsi, ont trouvé la mort. Ce fut le génocide le plus rapide de l’histoire et celui de plus grande ampleur par le nombre de morts par jour. Tout a commencé par un attentat contre l’avion du président rwandais Juvénal Habyarymana (photo ci-contre); le massacre est encouragé par la sinistre Radio Mille Collines que les militaires français avaient localisée, mais Paris leur a ordonné de ne rien faire… Aujourd’hui, on le sait. La communauté internationale n’a pas bougé non plus. L’ONU – tous les pays membres de cette organisation – devrait être condamnée pour non-assistance à peuple en danger. Et pourtant, les génocidaires ne représentaient même pas une Panzer Division.


1. Le nombre d’échecs: une obsession

Avant tout, je voudrais couper les ailes à un canard. Depuis tout un temps (depuis toujours?), on entend dire que les professeurs belges ont la main leste pour «buser» les pauvres élèves. Et cela irait de mal en pis. On nous rebat les oreilles avec le coût de l’échec en Communauté française: une véritable calamité qui grève lourdement le budget de notre Région. A Verviers, les commères relaient le bruit que le Collège est tellement élitiste qu’il fait peur à des tas de gamins et à leurs parents. Rastreins!

J’ai retrouvé la photo de la rhéto 1961-1962 sur laquelle j’aurais dû être si j’étais resté au Collège. Des 29 que nous étions en 6e Latine A chez Martiny, il en restait 5 sur la photo de rhéto! En 5 ans, le Collège de l’époque avait perdu en cours de route 5 élèves sur 6, soit qu’ils aient dû redoubler au moins une fois, soit qu’ils aient quitté la rue de Rome pour d’autres cieux plus cléments. Quelle hécatombe! Oui, à cette époque, il y avait de quoi s’inquiéter. C’est d’ailleurs ce que fera le recteur Misson quelques années plus tard.

Voici les tableaux statistiques 30 ans plus tard. Ils montrent qu’entre

1988 et 1993, le taux de réussite pour chacune des années du Secondaire est toujours de plus de 90%! Le tableau suivant prouve que le pourcentage d’élèves de Rhéto en retard d’un an ou plus n’est même pas de 20%. Certes, des élèves nous ont quittés entre-temps. Mais le compte est vite fait: en 1993, en 1re, 146 élèves sont à l’âge normal; 5 ans plus tard, 108 de ces élèves se retrouvent en rhéto, ce qui fait 74% des effectifs de départ, alors que 35 ans plus tôt, cela représentait 20% à tout casser. C’est noir et blanc, arrêtons d’en faire un plat. J'affirme qu'on ne peut pas relever ces taux de réussite sans toucher gravement aux exigences d'une bonne formation en Humanités.
Le problème ne vient pas d'écoles comme SFXun, mais bien des écoles de la Communauté française qui ne se soucient guère de cet aspect de l'enseignement. Et de la structure de notre enseignement, qui dévalorise le Technique et maintient à l’école, contre toute logique, des jeunes de 17-18 ans qui n'en ont que faire et pourraient trouver une nouvelle motivation dans le milieu du travail.

Que veut-on en Communauté française de Belgique? De belles statistiques pour impressionner l'Europe et l'OCDE? Ou la formation de notre jeunesse? Dans le premier cas, je conseille la réussite à 100% et le passage de classe obligatoire. Mais ne comptez pas trop sur les profs pour l’obtenir. Le seul moyen efficace pour arriver à cet Eden, c’est de publier un décret instaurant la réussite automatique, le passage de classe en fonction de l’âge: voilà une réforme vraiment démocratique, le même traitement pour tous les enfants: 1 enfant = 1 enfant. Qui va contester cette tautologie? C’est un moyen de faire des économies à court terme, le temps d’un mandat: allez-y, mesdames et messieurs les ministres, tirez les premiers!

Le mardi 6 décembre 1994, j’ai arrêté de remplir mon journal de classe pour l’année scolaire en cours: contrairement à ce qu'on m'a toujours dit, j’ai toujours trouvé que cela ne servait à rien. Mais pourquoi arrêter cette année-là? Aucune idée. Surtout que j'ai recommencé les années suivantes, épisodiquement: quelques scrupules mal placés, sans doute.

2. Le grec dans nos Cités

C’est le titre d’une conférence exceptionnelle – vraiment à contre-courant! – qui se présente comme un débat entre deux vedettes de la politique belge: Melchior Wathelet, vice-Premier ministre, ministre de la Justice et des Affaires économiques (à droite) – qui joue à domicile – contre Philippe Busquin (à gauche), le président des socialistes du sud du pays depuis 1992. Cette confrontation a lieu à la salle du Centre, largement garnie, le 24 mars 1994 à 20h. C’est une soirée dont je me souviens bien. Elle est organisée par les profs de grec du Collège, donc par Dominique Willem et le père Sonveaux. Si Thomas Lambiet est sur la scène, c’est sans doute parce qu’il est ancien  condisciple de Melchior Wathelet (Rhéto 67: voir SOUVENIRS 5) ou alors que les profs de latin sont aussi de la partie.

Pour nous, c’est une sorte de match: PS contre PSC. L’issue du combat ne fait aucun doute. Wathelet est un orateur hors du commun. Busquin a une voix de crécelle hésitante; quand il parle, on a l’impression que c’est un débile léger qui fait des efforts pour ne pas déraper. Mais il n’a pas la morgue de Spitaels – son prédécesseur à la tête du PS –, il sait sourire et se fait d’emblée modeste en avouant son infériorité manifeste dans l’art de la rhétorique par rapport à Melchior, qui, en outre, est chez lui à Verviers. Ce dernier part donc largement favori.

Tous comptes faits, ce n’est sans doute pas sans arrière-pensée que Wathelet revient à ses premières amours. N’oublions pas qu’il est au sommet de sa gloire: il n’est pas revenu dans son Collège pour étaler simplement sa culture, que l’on sait vaste et diversifiée. N’est-il pas là pour rappeler à son fidèle public qu’on devrait pouvoir compter sur lui au prochain scrutin communal – dans 4 mois! – pour prendre le maïorat, rien de moins? Pure spéculation politique: forcément, avec deux hommes politiques d’envergure.

Ah, oui, le match! Wathelet est brillant, comme d’habitude. Un feu d’artifice qui porte au pinacle l’exception culturelle athénienne, dont le plus beau fleuron, à entendre Melchior et bien d’autres avant lui, est l’invention de la démocratie. Oui, la démocratie à la grecque, en oubliant les femmes et les esclaves… Après la conférence, j’ai osé donner mon point de vue au maître – qui était toujours élève au Collège quand j’y étais déjà prof, donc pas de complexe à avoir, ni pour l’un ni pour l’autre: il m’appellera d’ailleurs plusieurs fois Joseph jusqu’au moment où je le menacerai de l’appeler Balthasar (Eric Laurent s’en souvient encore). Donc, j’ai un peu contesté son raccourci machiste pour mettre en exergue l’avancée fantastique que les Grecs nous ont offerte en mathématiques: c’est eux, les seuls d’ailleurs, qui ont inventé le raisonnement en maths, l’art de la démonstration, sans quoi les maths allaient bientôt tourner en rond, comme en Chine, pays pourtant très développé intellectuellement. Sans les Grecs, nous en serions probablement toujours au moyen âge pour tout ce qui est technique et scientifique, mais avec une démocratie réservée aux hommes…

Enfin, ce n’est jamais qu’un point de vue. C’est la confrontation des avis qui est amusante dans ces assemblées. Je dois dire que nous souffrons cruellement du manque d’occasions semblables: merci aux profs de grec!

Mais j’oublie Philippe Busquin! Il surprend en bien; avec l’air de ne pas y toucher, il produit une petite musique à laquelle on se laisse prendre à la longue. Il joue habilement au modeste, à celui qui a dû trimer pour arriver à regarder Wathelet de dos, et de loin. Mais lui, il a fait du grec tout seul, en autodidacte, pour parfaire sa culture qu’il estimait insuffisante pour un honnête homme. Il joue habilement de la corde sentimentale. Finalement, il a ses partisans, surtout étonnés qu’il ne dise pas de sottises, et même heureux qu’il ne soit pas ridicule face à la vedette locale. A entendre les commentaires d’après-match, c’est presque un match nul. En tout cas, Busquin n’a pas été ridicule. C’est tout bénéfice pour les organisateurs, ils ont présenté un match d’où la culture grecque sortira seul vainqueur: c’était bien le but recherché.

Mais la politique reprend rapidement ses droits. Dans 7 mois, ce sont les élections communales et Wathelet va se positionner comme candidat bourgmestre, un repli stratégique pour cet homme ambitieux et incontestablement un plus pour la cité lainière.

Au mois d'octobre, pas de Wathelet sur les listes électorales: hélas pour Verviers, ce Melchior ne sera jamais bourgmestre!

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