5. Le catalogue jésuite de 1974
Ce Catalogus 1974 m'a été offert par mon ami Philippe Dejong. Celui-ci m’avait aidé à comprendre les abréviations latines utilisées dans le catalogue 1969 (voir Souvenirs 8). N’ayant pas tout retenu et Philippe étant momentanément absent, j’ai sollicité le Père Jean Charlier – ancien collègue, ancien recteur de la communauté et ancien Provincial –, qui m'a répondu avec sa gentillesse coutumière.
Ci-dessus, en première page, le catalogue utilise une langue suffisamment claire. Précisons quand même que le Préposé général – souvent appelé simplement le Général ou encore, de façon quelque peu polémique, le Pape noir – était à l'époque le R.P. Pedro Arrupe, qui a laissé un excellent souvenir dans la Compagnie. C’est lui qui va orienter davantage l’action de la Compagnie vers l’aide aux réfugiés et l’engagement dans les pays du tiers-monde. Conséquence regrettable pour notre enseignement: la crise des vocations aidant, les jésuites vont assez rapidement (en moins de 30 ans) se retirer des collèges belges.
Poursuivons notre lecture: A.R.P.N. vient de "Admodum Reverendus Pater Noster", que l’on peut traduire par "Notre Très Révérend Père".
photo ci-dessus: le gratin des jésuites avec Benoît XVI (2005-2013)
Dans les 4 Assistants généraux, je remarque le nom de Paolo Dezza. Confesseur de Paul VI puis de Jean Paul 1er (1978) – excusez du peu! –, il sera nommé d’autorité, par Jean Paul II, délégué pontifical pour remplacer le Père Arrupe, frappé d’une thrombose en 1982. Cette décision sera très mal reçue par la Société de Jésus, qui retrouvera sa sérénité un an plus tard lors de l’élection dans les règles de l’art de Peter Hans Kolvenbach.
J'ai scanné les quelques lignes ci-dessous (p.16), donnant les adresses des Provinciaux, pour rappeler à certains lecteurs que la Province Méridionale Belge (PBM), comprenant la partie francophone du pays ainsi que le Luxembourg, est
alors dirigée par le R.P. Simon Decloux, un Verviétois. Mais le plus grand intérêt de cet extrait vient de la découverte du nom du provincial d’Argentine (n°5).
Jorge Mario Bergoglio, élu pape le mercredi 13 mars 2013 (il y a 15 jours exactement au moment où j'écris ces lignes). Rappelez-vous, la surprise fut totale. Ce 266e pape est le premier issu de la Compagnie, ordre religieux rétif à l’exercice du pouvoir. Quant au nom de Sa Sainteté, François, c'est encore une première. Pour la petite histoire, notez que ma femme avait prévu ce choix! Justement pour honorer François d’Assise (baptisé Jean!): mon épouse aurait-t-elle des dons de voyante?
Je saute à la page 41 pour découvrir la liste des membres de la Communauté Saint-François-Xavier. On y mélange curieusement le latin et le français. Maintenant, je déclare forfait. Ce latin d’Eglise truffé d’abréviations est du chinois pour moi: sachez quand même que j’ai arrêté d’étudier la langue de Cicéron en 1962… Pour les plus subtil(e)s, j’ai scanné la liste jusqu’au brave père Buyle.
Voici la traduction notée par téléphone:
P. Luigi Lefèbvre, recteur depuis le 22 juillet 1972, aumônier de la Fédération des anciens élèves.
P. André Jaspar, ministre, préfet d’église et de santé, aumônier des louveteaux consulteur depuis 1969.
P. Baumal Léopold, professeur titulaire de 4LM, aide du préfet des études, confesseur des Frères des écoles chrétiennes, vicaire dominical en ville.
P. Bodaux Nestor, préfet des études adjoint, aumônier des anciens élèves et de la croisade eucharistique des aveugles, écrit l’histoire de la maison, confesseur à la maison.
P. Buyle Jacques, professeur titulaire de 3LG, s’occupe d’œuvres missionnaires, des Fraternités de Champagne et des mariages mixtes.
P. Cardol Jean-Marie (Province d’Afrique Centrale), ministère extérieur, exercices spirituels, confesseur à la maison et en ville.
P. Charlier Jean, professeur titulaire de rhétorique, adjoint de l’aumônier des anciens élèves, consulteur depuis 1969.
P. Crèvecoeur Maurice, confesseur à la maison et en ville
P. Dedeurwaerder Richard, économe, surveillant, chapelain de clinique, vicaire dominical en ville.
Scolastique Dejong Philippe, titulaire de 6e latine, 1ère année de professorat.
P. de Lannoy Antoine, préfet des études
P. Doutrelepont Georges, confesseur à domicile.
P. Ernotte Roger, professeur de religion et d’histoire, vicaire dominical en ville.
P. Fafchamps Lucien, ministère extérieur de l’Union Saint-Raphaël et des Défenseurs de la Croix [n’existent qu’à Verviers!], chapelain de clinique, s’occupe des pauvres, confesseur en ville.
P. Fraikin Marcel, préfet spirituel de la maison, sacristain, préfet de la bibliothèque de la maison et des professeurs (magistri), confesseur en ville.
P. Frépont Léon, titulaire de 3LS, s’occupe de la Conférence de Saint-Vincent de Paul, consulteur depuis 1969.
Frère Hullebroeck Gérard (Belgique septentrionale) aide-économe [même plus aide-sacristain!]..
P. Ketels Paul (Belgique septentrionale) confesseur.
P. Longrée Georges, titulaire des 5e et 4e modernes, préfet spirituel des élèves de primaires. S’occupe du mouvement eucharistique des jeunes, de l’action missionnaire et des CVX adultes.
Frère Maurage René, promoteur liturgique, aide le préfet spirituel et le préfet de discipline.
P. Smets Alexis, préfet spirituel des grands élèves, s’occupe des CVX et de la pastorale familiale, aumônier des scouts, vicaire dominical en ville, enseigne la religion.
P. Van der Biest Léon, enseigne la religion et l’histoire, préfet de la bibliothèque des élèves, des œuvres missionnaires; consulteur depuis 1967, admoniteur.
Ce terme vient de admonitio. Après l'explication de mon correspondant, j’ai consulté mon vieux dictionnaire latin, édité en 1928 et racheté d’occasion à José Troupin (Rh.1957), de 5 ans mon aîné. Plusieurs traductions sont données, elles vont d'avis ou action de rappeler jusqu'à remontrance ou réprimande. En jargon jésuite, l'admoniteur serait (d'après Charlier) un conseiller particulier chargé d'alerter son supérieur en cas de besoin. Philippe Dejong (voir Souvenirs 8) me parlait plutôt de réprimande, carrément, d'admonestation quoi. Plus qu'une question de nuance!
Retour à la liste.
P. Vincent Jacques, préfet de discipline, aumônier principal des scouts, s’occupe de la pastorale familiale, aumônier du basket.
P. Fabry Ferdinand, curé d’Elsaute (voir Souvenirs 47)
Pour les deux personnages principaux de la communauté (le recteur et le ministre), les catalogues donnent le prénom avant le nom; pour les autres, c’est l’inverse. Je trouve la première manière plus respectueuse et plus cordiale tout à la fois. Mais pourquoi cette différence?
Voici la réponse intégrale de Jean Charlier:
Cher Jean,
C'est vrai, mais je ne me suis jamais demandé pourquoi. Le nom du supérieur est en premier pour situer sa charge et le nom du ministre en second car il est "prope superiorem" c'est-à-dire qu'il le remplace en cas d'absence ou de maladie.
Par ailleurs les noms des membres de la communauté sont ordonnés par ordre alphabétique du nom de famille parce que c'est assez pratique pour rechercher les renseignements. Si on gardait l'ordre alphabétique des prénoms, on risquerait une répétition de Jean, de Georges etc. Mais on aurait pu prendre l'ordre des âges... L'ordre actuel est en place depuis très longtemps. Avant le rétablissement de la Compagnie en 1814, je ne sais pas comment se présentaient les catalogues jusqu'à 1773: il faudrait aller voir à Rome...
Il n'y a certainement aucune ségrégation: c'est un ordre habituel dans lequel tous se retrouvent.
Voilà une "description" plus qu'une "explication"...
Réponse logique et instructive.
Entre le catalogue de 1969 et celui de 1974, les prénoms d’abord traduits en latin (Iacobus, Alexius, Ioannes, Leopoldus…) retrouvent leur expression française: quel progrès! Peut-être fut-il un temps où même les noms de famille étaient latinisés? A l’époque, moi, jésuite (« Moi, président », disait François Hollande), j’aurais été appelé Jansenius: un comble!
Ces catalogues permettent aussi de comparer les effectifs scolaires entre ces deux années. Les Externi Magistri sont, d’après moi, les enseignants laïcs du Primaire et du Secondaire.
SFX Second. Prim. Jésuites Laïcs
1968 - 69 : 581 247 334 14 29
1973 - 74 : 718 356 362 15 50
14 jésuites pour 29 laïcs! J’aurais pourtant juré qu’en fin des années 1960, les jésuites étaient plus nombreux que les laïcs. A cette époque, le directeur (en même temps recteur de la communauté) et les divers préfets – mais aussi le surveillant Richard Dedeur! – étaient des compagnons de Jésus. Ils organisaient l’école et lui donnaient son orientation, son cachet, son style. Je crois que c'est grâce à eux que l'ambiance dans le corps professoral était aussi bonne. Moi, quand mes obligations familiales me le permettaient, je traînais souvent dans la salle des profs, par plaisir.
Voilà sans doute ce que ma mémoire avait traduit. Je m’aperçois de plus en plus qu’elle ne fait pas bon ménage avec la réalité mathématique!
On pouvait donc à cette époque organiser un collège jésuite avec peu de jésuites. Et aujourd’hui qu’il n’y a plus aucun Compagnon de Jésus rue de Rome? Certains parlent jésuitiquement de collège ignatien…
On en reparlera.
Mais revenons à l'actualité [comme vous le constatez, j'ai remanié le texte original, vieux de plus de 6 ans, après l'élection du Pape François en 2013]. Je me suis laissé prendre comme un débutant par la couverture du Vif – L’Express. Comme vous pouvez le constater, on allait découvrir le pouvoir obscur des jésuites.
J’ai acheté ce périodique en me demandant ce qu’il allait bien pouvoir raconter à ce sujet. Rien! Une véritable arnaque. Même méthode que les journaux à sensation! Vous avez dit informations?
J’ai cependant trouvé quelques lignes intéressantes dans l'interview du Provincial de la PBM, Franck Janin, un Français qui a passé 2 ans à Verviers. Expliquant d’abord qu’il faut parler davantage de «présence» que d’ «influence» jésuite, il en vient à comparer la Belgique et la France. « Pays de consensus et de négociations, elle
[la Belgique] est plus réservée par rapport au genre de militance qu’on connaît en France. Aujourd’hui, cependant, il y a plus d’anticléricalisme en Belgique qu’en France, où le rapport au catholicisme s’est apaisé. Il suffit de comparer la couverture de l’élection du nouveau pape sur les deux chaînes du service public que sont France2 et la RTBF, où l’angle était plus politique et plus virulent. Mais, en Belgique, il suffit de remuer le sable pour trouver des pépites d’or.»
Il faut lire jusqu’au bout!
6. A Vos Marques:
Frépont dit du Bailoux (1975-76)
Il fallait absolument le retrouver. Facebook m’y a fortement aidé. Lui, c’est Didier Bailoux, que j’ai eu comme élève en 1972-73, gentil garçon qui a pratiquement été élevé par les jésuites: il était au Collège chaque fois qu’il pouvait, entre autres comme commissaire aux séances de cinéma du Centre avec le père Boulanger; ce même Boulanger qui avait dégonflé les 4 pneus de la voiture de Zinnen parce que celle-ci l'empêchait de partir avec la sienne...
Seul Bailoux pouvait me renseigner sur l’intermède télévisuel de Beaupain (voir SOUVENIRS 69) et sur la performance cathodique du père Frépont. Cette dernière a eu lieu dans le cadre de l’émission scolaire A Vos Marques, très célèbre de 1961 à 1979. En fait, ça se passe en 1975. On enregistre l’émission dans un studio de la RTB (pas encore RTBF) à Bruxelles. L’émission est présentée par le moustachu Robert Frère, personnage dynamique, mais un peu distant, je dirais même assez prétentieux quand on le voit en répétition. Notre adversaire du jour est le redoutable institut Saint-Berthuin de Malonne, école de garçons bien entendu, qui compte encore des internes, avantage incontestable.
Sur les épreuves proposées aux deux écoles, je me souviens des 4 suivantes: danse, journalisme, chanson et poésie. Cette année-là, ce n’est pas simplement un match entre deux écoles, mais il faut se classer dans le duo de tête de l’ensemble des écoles participantes pour la discipline concernée si l’on veut parvenir en finale. Je parle ailleurs (voir Souvenirs 23) des 2 catégories où nous irons en finale: le sport et le journalisme. Raté chaque fois!
L’épreuve cinéma s’est passée sur le terrain, au Collège.
C’est Joseph Ruwet le maître d’œuvre. Ce jour-là, il bénéficie de l’aide de deux professionnels de la TV: un caméraman (on ne disait pas encore cadreur) et un preneur de son. Le montage se fera chez un autre spécialiste du boulevard Auguste Reyers avec J.Ruwet et les élèves chargés de cette épreuve (dont Philippe Collette).
Le scénario imaginé mettait toute l’école dans le coup. Mes souvenirs de cet événement sont trop flous, j'ai donc demandé des précisions à Joseph. Voici sa réponse écrite: "On avait imaginé un remake de la sécession de la plèbe romaine sur le Mons Sacer (les escaliers de la rue de Rome), puis l'épisode de la Fable de l'Estomac débitée par Menenius Agrippa et l'obtention du Tribunat pour notre bonhomme (incarné par Manuel Gonzales, un immigré espagnol de la première génération). Tout cela était filmé par une équipe de la RTB (pas encore F)."
On doit filmer en extérieur les mouvements d'élèves dans la cour: au début, rien d'anormal, puis un meneur (Manuel Gonzalez) harangue ses condisciples devant la statue de saint François-Xavier: il est temps que son collège ait un représentant de la base au Conseil d'administration. Et c'est le mouvement général vers la sortie. Le caméraman filmera cette première partie couché sur le toit du nouveau bâtiment, à côté du photographe attitré, Jean Arnould, qui n'en a pas un très bon souvenir ("Il faisait caillant là au-dessus!"). Les élèves sont impressionnés, pour ne pas dire fascinés. Puis on rassemble tout le monde (ou presque) – 400 garçons à l’époque – au pied des escaliers de la rue de Rome pour la manifestation.
(Note: sur cette photo, j'ai ajouté des noms d'élèves que je croyais bien reconnaître. Il paraît que j'ai commis l'une ou l'autre erreur. D'accord, mais je ne sais pas lesquelles! Si on pouvait m'aider...)
C’est très amusant; les élèves ont fabriqué des calicots pour l'occasion, les slogans n'ayant d'ailleurs qu'un lointain rapport avec l'objet de la manif. Le cadreur est posté sur le second palier de l’escalier monumental, flanqué de son preneur de son. Les élèves sont tous au coude à coude, les yeux braqués vers la caméra, vociférant comme il se doit dans une manif traditionnelle. Defawes est posté tout enhaut des escaliers avec un porte-voix (j'ai oublié son rôle et Joseph aussi).
C’est alors qu’on s’aperçoit que a manifestation n’occupe qu’un petit bout de la rue de Rome, même pas la longueur qui sépare l’entrée du Centre du pied des escaliers. C’était une petite école, mais tellement sympathique…
Les élèves sont ravis: ils sont acteurs d’une émission qu’ils vont pouvoir regarder – en se reconnaissant dans l’étrange lucarne, pensent-ils –, quelle chance! L'inattendu se produit ensuite (d'après Jean-Marc Bréda, moi, je ne m'en souviens pas et je me permets d'en douter, mais je l'écris en plus petits caractères en attendant la confirmation d'un autre ancien): la fausse manifestation devient une vraie pour réclamer du chauffage en ce jour d'hiver précoce! Possible vu le nombre de fois que les ouvriers de chez Wertz sont venus pour tenter de régler ce problème récurrent: l'Intervapeur, c'est très commode, encore faut-il que les installations locales soient au point. Note surprenante: un tuyau passant par le réfectoire (près de la salle Boland) est constamment chaud, été comme hiver; l'Intervapeur n'a jamais réglé ce problème l'estimant plus onéreux que le coût de la consommation inutile!
L’autre partie du scénario se passe à la salle des profs, où des collègues jouent une scène de la réunion du Conseil d'administration (salle des profs avec les fameux fauteuils rouges). J’aurai l’honneur de jouer au directeur ce jour-là. Nous allons accepter la revendication des manifestants et accueillir en notre sein, pour la première fois dans l'histoire du Collège, un représentant des élèves: c'est Manuel Gonzales que l'on voit, en guise de clin d'oeil final, fumant un gros cigare!
Le petit film n’était pas mal, mais nous n’avons pas été retenus pour la finale.
Pour le concours de poésie, quelqu’un de l’école doit présenter une poésie écrite par un élève. Nous faisons logiquement appel, pour cette épreuve, au titulaire de la classe de poésie, le père Frépont. Il considère ce choix comme un honneur et participe à fond à l’épreuve demandée: il y va du renom du Collège. Il choisit une «œuvre» de son meilleur «poète», Didier Bailoux. C’est un peu le fils prodigue. Littéraire dévoyé durant 2 ans vers l’école des Cadets pour faire plaisir à son père, Didier a perdu un an dans l’aventure. Revenu tout heureux à SFX chez Buta (surnom de Frépont), il est le seul nouvel élève. Et Frépont s’ingénie à l’intégrer en le valorisant dès le début de l’année. En pratique, Didier n’a pas vraiment besoin de ce coup de pouce. Mais Frépont, épaté par ses dons poétiques, en fera (peut-être involontairement) son chouchou.
Il choisit donc un sonnet écrit par notre Didier, intitulé «Nuit d’hiver». A entendre l’auteur aujourd’hui, ce n’était pas un très bon choix. Il avait fait mieux. Frépont, poussé dans le dos par les organisateurs du Collège (j’étais parmi eux, mais qui étaient les autres?), accepte de se faire l’interprète de cette poésie. Prestation risquée: bravo et merci! Le jour dit, le voilà sur le plateau, les écouteurs sur les oreilles pendant qu’on lance les diapositives choisies par notre professeur de même que la musique de fond. Qui mieux que le professeur d’esthétique peut réussir cet assemblage artistique? Il doit s’être entouré d’œuvres de Vincent Van Gogh et de Gustav Mahler.
Nous sommes dans les coulisses, les yeux rivés sur notre champion, angoissés pour lui et pour le Collège. Il commence, on le coupe: problèmes techniques? Le réalisateur, avec son accent russe ou polonais, parle via les haut-parleurs pour expliquer au père jésuite, avec beaucoup de déférence (tout le monde l’entend), ce qu’il attend exactement de lui en se permettant de le conseiller sur sa façon d’entamer le poème. Frépont se plie aux recommandations, on relance la machine, puis c’est un nouvel arrêt incompréhensible pour les observateurs attentifs que nous sommes. Le réalisateur s’excuse à nouveau, vrai problème technique cette fois, et on relance l’interprétation: on sent Frépont un peu énervé, mais il se maîtrise, conscient de l’enjeu. Enfin, c’est la bonne prise. Il prend un ton très emphatique qui colle bien avec son personnage, mais pas avec la poésie: cela déforce plutôt le texte. Philippe Dasnoy, président du jury est implacable. L’ensemble, poème et interprétation, récolte un 7/10 très moyen avec ce commentaire peu flatteur: c’est du niveau d’un devoir scolaire classique. Pas plus!
Pour la chanson, ce fut toute une histoire pour amener un piano sur le plateau. Contre toute attente, la RTB ne possédait pas cet instrument dans ses accessoires. Et comme on était sûr qu’après le transport, le piano devrait être raccordé, la dépense nous faisait peur. J’ai oublié comment on s’en est sorti. Je me souviens que c’est Jean Evrard qui chantait Yesterday, la célèbre chanson des Beatles écrite et interprétée par Paul McCartney. Evrard avait été meilleur aux répétitions: le trac? Recalé aussi.
5. La gifle (1976)
Juin 1976 verra les premières délibérations collégiales avec les décisions sous forme de lettres: A (réussite), B (réussite avec restrictions), C (redoublement), D (examens de passage) et E (réussite assortie d’un travail-épreuve). Le père Antoine de Lannoy sera fort surpris par le nombre de C dans les 4es Modernes: on en arrive à près de 50% tant dans une classe que dans l’autre, dont les titulaires sont respectivement Luc Peeters et moi.
L'année suivante (juin 1977), juste avant les délibés, qui s’annoncent encore catastrophiques pour ces classes de Modernes, j’ai reçu un camouflet comme jamais dans ma vie.
Je suis alors titulaire de 3LM et je donne cours en parallèle à la 3e Moderne B: attention, à partir de cette année scolaire-là, on va numéroter les classes d’humanités par ordre croissant, la 3e est donc la dernière année du cycle inférieur. Après un examen oral à Pâques qui donne en Modernes une moyenne de 57% (résultat normal pour cette classe), l’écrit de juin est une véritable catastrophe (43% et 9 échecs sur 14). Vous imaginez
si je suis heureux! Au total de l’année, en comptant le TJ (travail journalier) qui n’est pas mauvais, ça donne 5 échecs en maths pour l’année. En 3LM, pour les mêmes épreuves, je n’ai que 2 échecs sur 20: une grosse différence de niveau, on connaît ça. Je rends ma feuille de points d’examens, garnie de boules rouges comme un sapin de Noël, au titulaire le père Geo Longrée, chargé, comme c’est l’habitude alors, de recopier ces résultats dans les bulletins des élèves. Je me doute bien que ça ne lui fera pas plaisir non plus, mais je ne m'attendais pas à sa réaction. Il est vrai qu’il n’est pas titulaire depuis très longtemps. Le lendemain, je suis appelé chez le père préfet des Etudes, qui m’annonce avec beaucoup de ménagements que le père Recteur – vieil ami du père Longrée – a été prévenu des résultats et ne les admet pas! Je suis prié de les adoucir… Choqué, je rétorque qu’il n’en est pas question et je demande à pouvoir justifier et mon questionnaire, et ma façon de noter. Le père de Lannoy m’écoute attentivement et me laisse très peu d’espoir: le père Recteur a pris une décision qui semble irrévocable et le Préfet obéit perinde ac cadaver! Je refuse la transaction, mais j’apprends bientôt que les points recopiés dans les bulletins sont des points trafiqués: mon sang ne fait qu’un tour. J’entre comme une furie chez le Recteur, le ton monte rapidement, il m’explique qu’il l’a fait pour la réputation du Collège (!), je lui explique à quel point je trouve cette méthode infamante, puis lui jette mon dégoût à la tête et sort en claquant la porte! Dans la foulée, je vais dire son fait à Longrée, qui ne m’avait jamais vu dans sa chambre jusque-là. Je suis prêt à quitter le Collège, mais quand je réfléchis, je me calme un peu et je comprends bien que j’ai tout à perdre. Et puis le Recteur, dans un an, il ne sera plus là, moi si…
Durant les délibérations dirigées par de Lannoy, je m’abstiens de tout commentaire (grève de la parole!), puisque je ne connais pas les points de maths attribués à mes élèves: les bulletins restaient chez le titulaire à cette époque et on ne recevait pas de feuille récapitulative. Vous voyez l’ambiance! Heureusement, la modification des résultats de ce 4e examen de math (qui, en fait, ne représente que 15% du total de l’année en comptant le T.J.), ne change pas les décisions prévisibles du conseil de classe.
Deux jours après, pas encore calmé, j’écris au père Recteur pour lui exprimer un peu plus poliment ma profonde déception: j’ai perdu la confiance de ma direction et je suis touché dans mon honneur! Mais je sais que le directeur d’une école possède ce pouvoir exorbitant de décider des résultats des élèves malgré le professeur qui a donné le cours et corrigé en son âme et conscience. Je crois que c’est toujours le cas aujourd’hui.
Je n’ai pas annulé mon inscription au souper des profs: mes collègues n’y étaient pour rien, à une exception près. Ce jour-là, relevant mon casier à tout hasard, je reçois la réponse écrite du Recteur, qui se contente de prêcher l’apaisement. Les vacances auront un effet thérapeutique.
7. La mixité en point de mire
On a souvent rappelé, à juste titre, que Marie-France Dethier (épouse Ramaekers: voir photo ci-dessous, devant son mari) est la première touche féminine historique du Collège. Elle sera suivie de près par Simonne Jacob (Mme Piedboeuf), qui commencera par donner des
cours de religion en Primaires; puis nous aurons très vite la mixité en première primaire (septembre 1976). J’ai scanné du livre du 125e cette photo de trois jolies petites collégiennes: Véronique Henrotte, Dominique Monami et Isabelle Verstraeten (classe de 1B de Mme Piedboeuf, 1979).
[Je dois ces derniers renseignements à Pierre-Laurent Fassin, qui était en 1A chez Henri Carbin].
En Primaire, la mixité progresse chez les enfants et s'étoffent dans le corps enseignant. En 1976 arrive Arlette Pirnay (photo ci-dessous), épouse Kisteman, qui donnera pour lontemps la 4e primaire. Collègue discète et très souriante.On va souvent la voir dans des pièces de théâtre organisées par l'Atelier théâtral du Collège. Son duo avec Joseph Ruwet débouchera sur une relation plus intime à la longue.
Simultanément, aurons-nous des filles dans le Secondaire? On commence vraiment à y croire, mais ça ne coule pas de source.
Le Collège met la pression sur les autorités diocésaines. En mai 1976, la revue des parents commence ainsi: «L'Association des Parents a décidé de consacrer un exemplaire de la revue à une information précise et détaillée sur le problème de la mixité tel qu'il se pose aujourd'hui au Collège Saint-François-Xavier.»
Le premier article est signé, comme de juste, par Jean-Marie Raxhon, président de l'A.P.
Je mentionne essentiellement les titres des divers chapitres de cet article. Le président commence par
– Faire le point, rappelant d'emblée que l'Ecole est au service des enfants.
– La coéducation est-elle un bien pour l'enfant? Incontestablement oui et aucune personne avertie ne prétend le contraire (...) Toutes les instances compétentes et toutes les écoles concernées sont d'ailleurs favorables à la coéducation.» M. Raxhon répond un oui franc et argumenté (il est avocat de profession) aux questions suivantes:
– La coéducation est-elle désirée par les parents?
– La coéducation est-elle désirée par les professeurs?
– La coéducation est-elle souhaitée par les directions et par les pouvoirs organisateurs?
L'avocat de la défense explique ensuite que les conséquences de la mixité sont manifestement bénéfiques pour tout le monde.
Dans sa péroraison (– Ce qui reste à faire?) Maître Raxhon rassure nos "juges" et nos clients. Sachez, bonnes gens, que les écoles demanderesses sont, toutes, prêtes. Qu'attend-on dès lors pour être heureux? La décision de la commission diocésaine chargée de l'enseignement et composée paritairement par des membres des parents, des enseignants, des pouvoirs organisateurs et de l'évêché de Liège. Mais n'ayez crainte, c'est juste une question de jours (si ce n'est déjà fait au moment où ces lignes paraîtront...).
On se demande alors pourquoi tout ce tintouin...
Attention, voici des menaces à peine voilées à l'égard des décideurs: Il faut bien dire que l'on devine mal quel argument militerait pour un refus. Enfin l'argument massue: ne vous ridiculisez pas en refusant la mixité. Bien plus, si un argument d'une importance telle existait qu'il devrait contrer les souhaits unanimes des pouvoirs organisateurs, des directions, du corps enseignant et des parents des 4 établissements demandeurs, ainsi que ceux de la C.R.P., le poids de pareil argument, son évidence, seraient tels que tous déjà, nous en aurions connu la nature.
C'est dans la poche, quoi.
Pour ma part, je trouve que le président est d'un optimisme béat, ou plutôt qu'il joue au naïf. C'est une méthode qui peut déstabiliser le jury dans un prétoire. Mais n’oublions pas, en l'occurrence, les difficultés rencontrées lors de l’ouverture de la section moderne.
Que je sache, à l'époque, la coéducation était généralement conseillée pour tous les âges, sauf, justement, pour les adolescents. Disons qu'à cet âge-là, il n'y avait pas unanimité chez les spécialistes. M. Raxhon n'en a cure, ni les autres intervenants d'ailleurs, c'est un long plaidoyer pro domo.
Le père Recteur prend la plume pour expliquer au bon peuple que «gouverner, c'est prévoir...» Sachez que le Collège est prêt!
Je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager la fin de son envolée lyrique.
(...) nous devrons aménager des classes dans l'antique bâtisse des Pères: nous y mettrons les bataillons uniformément mâles qui formeront encore le gros de nos troupes. Aux demoiselles, les classes pimpantes aux baies lumineuses et, pour leurs pieds délicats, le moelleux tapis plain. Afin de mettre à l'abri des ballons leur nuque souple et fragile, la prairie du jardin se fera plus verte derrière le rideau mouvant des arbres. Et en septembre 1977, un collège tout requinqué, muni d'une nouvelle cour de récréation, ménagera un cadre harmonieux pour le bonheur d'harmonieuses rencontres. Tout sera prévu, sauf les imprévus inévitables chargés de maintenir en éveil une inventivité toujours prête à s'assoupir. Les grues travaillent; pour qui voit les choses de l'intérieur, leur geste mécanique a toutes les grâces d'une invitation à la valse.
A croire qu'il écrit pour amuser ses lecteurs! Pourtant, toute la revue est une entreprise de dramatisation. Le Recteur termine son exposé plus sérieusement: Nous étions prêts, lorsque l'Athénée s'est ouvert à la mixité. On nous a demandé alors d'attendre deux années encore. Trois ans se sont écoulés depuis, trois ans de patiente mise au point. Que la patience ne devienne pas stagnation: la première mûrit, la seconde pourrit. Et la jeunesse a horreur de stagner: elle pousse; elle nous pousse...
Non, ce n'est pas fini, nous aurons encore droit, dans la même revue, au témoignage du père Guy de Marneffe s.j., directeur du collège (mixte depuis 5 ans) N.- D. de la Paix à Erpent. Il tente d'abord de répondre à la question «Etes-vous content de la mixité?». Plein de bon sens, notre jésuite limite la portée de sa réponse. En effet, dit-il, les fruits définitifs de la coéducation ne pourront être constatés qu'au moment où les adolescents seront des adultes (et encore, pourra-t-on les constater avec certitude?), je ne pourrais actuellement qu'être très imprudent en tirant des conclusions hatives et peu fondées. C'est sans doute l'article le plus tempéré. Suivent les plaidoyers des parents Malherbe (3 enfants en Primaire) et de J.-M. Delobel, titulaire de 1re Sc.B. Le président Raxhon fait encore appel au talent de J.-M. Jacquemin (père de 2 élèves de nos Primaires) pour des «Réflexions psychopédagogiques sur la coéducation à l'école».
Je suis alors très surpris de voir la signature du rédacteur en chef, M. De Donder, qui n'a pu résister aux sirènes de la féminité. Faut-il rappeler que ce vieux garçon a pour la gent féminine une tendresse non dissimulée? Je recopie quelques extraits de sa thèse, plus pour la qualité de sa prose que pour la solidité de ses arguments. C'est d'ailleurs un travail sur commande, il n'en fait pas mystère. Prenez à tout hasard un bon dictionnaire (et plus complet que Le petit Robert)! [pour les incultes comme moi, j'ai ajouté quelques traductions entre crochets]. Mais rassurez-vous, je mentionnerai pas le passage où De Don explique aux parents, inquiets pour le latin, qu'il a déjà trouvé plus de 120 extraits d'auteurs plus proches des préoccupations des jeunes filles que la Guerre des Gaules du bon vieux César.
De palabres en tractations, de conférences en discussions, de pourparlers en négociations, de consultations en délibérations, de conciliabules en commissions (...de coordination en planification), d'atermoiements en tergiversations..., "résultat des courses" (comme dit mon ami Janssen) [merci, maître]: adhuc iudice lis est [le procès est encore devant le juge] (...).
Bref, combien de caucus, combien de pilpouls [ pilpoul = discussion pédante sur des vétilles] devront-ils encore tenir, pour que se prononcent les Oracles?»
L'auteur épice le bouillon avec une excursion romaine. En 1929, Pie XI (dans l'encyclique Divini illius magistri) y allait d'une condamnation formelle de la mixité en précisant que «la coéducation est fausse et païenne, car elle ne tient pas compte de la faiblesse humaine et du soulèvement de la chair contre l'esprit». Pie XII, en 1951 (dans son allocution aux pères de famille français), insistait sur le fait que ladite encyclique datait de plus de 20 ans – une encyclique est donc recyclable – et qu'«il fallait la reconsidérer en fonction de l'évolution de la civilisation.» Ouf!
Sur le plan pratique, continue De Don, je n'ai pas qualité pour établir un dispositif judicieux et cohérent des programmes, des méthodes, des horaires à adopter (et sûrement à adapter) dans le cadre nouveau créé par la mixité: outre que je ne suis pas aux leviers de commande, je ne peux, hélas, faire état d'aucune espèce d'expérience valable en la matière... Ce sera là peut-être un des regrets que me laissera ma longue carrière d'enseignant (...).
Qui plus est, qui pis est, voici que pour moi se profile à l'horizon le spectre grimaçant de la retraite..., ce qui revient à dire que je ne connaîtrai donc très probablement pas [il ne donnaît plus cours en 1re] – j'allais dire in anima vili [comme vulgaire expérimentateur] – les joies et les triomphes de la mixité à S.F.X. C'est donc avec un certain détachement, sinon des hauteurs de Sirius, que je me hasarde à parler ici de cette question, en mon nom personnel.
Au milieu de cette revue à sens unique s'étale, comme une respiration, un article de l'élève Patrick Bartholomé de 3e L-G (16 ans) intitulé "Nouvelle de fiction anticipative". Il ne m'étonnerait pas que son professeur de français adoré (De Don en question) lui ait suggéré ce travail. Il faut savoir que Patrick est aujourd'hui l'auteur d'un blog remarquable tout entier consacré à son ancien professeur (http://louisdedonder.blogspot.be/).
Voici quelques extraits de ce rêve d'adolescent:
1er septembre 1976. Après 2 mois d'un silence devenu, à la longue, sépulcral, les bons murs du collège s'apprêtent à engloutir avec u appétit vorace la foule bruyante et hilare de la scolastique verviétoise. (...) Seuls ou avec leurs amis, les élèves franchissent le porche, enveloppés dans leur manteau, comme des conspirateurs dans leur cape. Des groupes se forment, qui paraissent connaître des divergences d'opinion; la cour est désertée; les ballons de basket délaissés; la foule houleuse se masse près du porche (...)
Ce n'est pas une exécution: on ne voit ni gibet, ni roue, ni estrapade [voir dictionnaire!].
Ce n'est pas un attentat (...) Un bruit de moteur; on tend le cou...; on perçoit un pas rapide et sonore comme celui que ferait un soulier à talons; on distingue une silhouette vague, presque diaphane...(...) A cet instant, le ciel se déchire comme le rideau du Temple, et un large rayon vient frapper de plein fouet... le premier jupon à ne faire partie ni du corps enseignant, ni du service d'entretien du collège. L'instant comme l'événement est historique; mais la glace n'est pas rompue: on s'attend à tout moment à ce que la foule en délire se jette sur la malheureuse, élève un bûcher et la sacrifie en holocauste à quelque dieu barbare...
(...) Mais non, l'assistance reste calme (...) Les esprits se détendent. On rit; on congratule la "nouvelle"; elle est adoptée!
La réalité dépasse-t-elle la fiction?
Enfin, les deux derniers articles sont des témoignages de parents, traditionnellement favorables au Collège, qui ont choisi l'Athénée pour leur fille. Ils ont préféré l'enseignement officiel, mais traditionnel (pour les gréco-latines), au Libre qui n'offre plus aux jeunes filles verviétoises que le seul Rénové (aux Saints-Anges). Les signataires de ces missives sont le Docteur et Madame Gérard GRAND (leurs 4 garçons étaient passés par le Collège) et l'ancien élève Jacques A. LECLOUX, Architecte I. SL. LG. Grand prix de Rome. Texto! Non, vous ne trouverez pas une lettre de Tartempion, métallo, ni une réflexion de Mme Janssen-Kreit, boulangère d'Ottomont. Ne sommes-nous pas une école d'élite?
Le débat était donc vicié à la base, les parents avaient surtout peur de mettre leurs filles à l'institut des Saints-Anges, totalement converti depuis belle lurette au Rénové. La coéducation ne leur posait pas de problème, mais ne semblait pas aussi urgente qu'on voulait bien le dire. Contrairement aux espoirs affichés, les filles n'arriveront pas en septembre 1976 en 1re Secondaire, mais seulement 4 ans plus tard.
C’est peut-être le moment de donner sereinement mon avis après 25 ans d’expérience. D’abord, je ne me suis jamais senti mal à l’aise dans aucun des deux systèmes. Et puis, j’ai toujours vécu avec des femmes (je n’ai pas connu mon frère, mort prématurément, je n’ai pratiquement pas connu mon père, mon beau-père est mort jeune et je n’ai pas eu de fils, mais j’ai toujours une femme, une fille, une sœur et une belle-mère, et ma mère a quand même vécu 81 ans…): c’est bien ça qui me désolait le plus, on allait encore me ramener dans un milieu féminisé… Non, je rigole. Honnêtement parlant, je n’ai pas d’avis tranché sur la question. Mais j’ai personnellement été frappé par une réflexion de Joseph Ruwet qui a longtemps donné cours dans les deux dernières années d’Humanités. Avec la façon inimitable qu’on lui connaît, il parlait d’un suicide des garçons. Je traduis (après explications de sa part): les garçons sont dominés, infériorisés par les filles de leur âge traditionnellement beaucoup plus mûres et ils se réfugient dans des attitudes et activités infantiles, indignes de leur âge. Des jeux stupides la plupart du temps. A son avis, ils continuent à payer quelques années cette époque noire de leur développement psychologique, ce qui pourrait expliquer la supériorité des filles dans les cursus universitaires. Autrement dit, la mixité serait néfaste pour les garçons de 15-18 ans. C’est une idée qui mérite considération. J’ai eu la chance d’être titulaire durant 7 ans d’une 5e forte (maths fortes et souvent latin) et je n’ai pas la même impression: j’ai chaque fois rencontré des garçons (au moins quelques-uns) avec une forte personnalité. C’est vrai que c’était beaucoup moins le cas dans les 5es maths 4 heures.
Ce problème est-il définitivement réglé depuis que l’Union européenne a pris des directives imposant la coéducation à ses Etats membres? Nul ne connaît l’avenir, surtout en politique.
Mais, vu du corps professoral encore très macho que nous formons à cette époque, ce qui excite le plus notre curiosité est l’accoutrement de nos collègues féminines, voire des épouses des jeunes profs. Pour nos nouvelles collègues (nous ne savions pas que le Recteur veillait à leur tenue, d’après Marie-France Dethier), pas de matière à cancans! Pour les épouses, on aura quelques sourires entendus et quelques commentaires bien sentis en voyant la dégaine de la femme d’un de nos jeunes collègues; surtout quand on apprendra qu’elle était présente à ses côtés lors des réunions de parents: pauvre collègue! Leur union ne pouvait pas durer.
8. Le centenaire de l’église
J'avoue humblement n'avoir rien retenu de la fête du centenaire de l'église. Je me demande même si j'ai assisté au concert exceptionnel donné à cette occasion. Mais je ne peux passer l'occasion de rappeler, grâce au père Bodaux (dans la revue de mars 1976 de l’Association des Parents), quelques grands moments de l'histoire de l'église du Collège dédiée au Sacré-Cœur. Terminée en 1875 déjà, l’église ne fut consacrée que le 25 avril 1876 pour raison de maladie de l’évêque de Liège, Mgr de Montpellier. C’est l’année où la ruelle Manguay prit le nom de rue de Rome.
Le véritable rayonnement du temple du Sacré-Cœur date du début du X siècle. On peut dire que le chant et la prédication attirèrent énormément de fidèles verviétois. Pour le chant et la musique, c’est l’arrivée en 1903 d’un musicien de renom, le père François ASSENMACHER – pendant plus de 40 ans préfet de tribune – qui lança un mouvement encore vivace aujourd’hui sous la baguette du frère Maurage. Pour l’anecdote, signalons les ennuis de notre musicien avec la Kommandantur allemande (guerre de 1914-1918) pour avoir fait chanter la « Prière pour le Roi ». La prédication connut deux grosses vedettes: le père Valère HUPEZ qui attira les grandes foules de 1903 à 1905 et le père Alphonse GORONNE, arrivé en 1910, qui « charma pendant 27 ans l’auditoire des messes du dimanche par sa voix chaude et vibrante, ses exposés lumineux et son argumentation convaincante. Lui aussi eut maille à partir avec l’occupant teuton pour excès de patriotisme. Il se retrouva prisonnier en Allemagne jusqu’à l’armistice de 1918.
Rentré en Belgique, il reprit sa prédication du dimanche et, vers 1930, ses sermons étaient diffusés sur les ondes par le poste de Radio-Verviers, un émetteur privé créé par le père Verreux au collège ».
Le bâtiment échappa de justesse le 11 mai 1940 (2e jour de la g uerre) à un tir belge émanant du fort de Fléron ! Le 30 novembre 1941, ce sont des bombes incendiaires allemandes qui atteignirent l’église et mirent le feu aux chaises. Les pères venus en nombre éteignirent rapidement l’incendie. Enfin durant l’offensive von Runstedt, le culot d’un obus tiré des hauteurs de la Fagne perfora le toit et perça la voûte avant de s’abattre encore sur les cha ises sans les allumer.
Aujourd’hui, le rythme des confessions s’est ralenti, comme partout, en revanche, la prédication de qualité (avec le père Lefèbvre) est toujours à l’honneur. Quant au chant, il est plus que jamais à l’ordre du jour.
« L’église du Sacré-Cœur est toujours ouverte à la prière silencieuse des passants et des habitués de la maison de Dieu ».
9. Des constructions pour 50 millions de FB (1977)
A peine arrivé rue de Rome, le père Lefèbvre décide de faire transformer le préau sous la salle de gymnastique (début de la transformation ci-dessous) pour créer ainsi une salle de jeux couverte qui deviendra la plus grande salle du Collège. Elle servira aussi pour l’éducation physique des petits, la Fête d’Hiver et la remise des prix des rhétos en fin d’année. L'inauguration de ce qu'on appellera la «salle de jeux» se fera le samedi 25 mai 1974, jour de la fête des parents de Primaires
: l'art de faire d'une pierre (c'est le cas de le dire) deux coups!
Mais il ne va pas s’arrêter là dans le domaine des constructions.
Profitant d’une occasion favorable qui permet de construire avec des fonds prêtés par l’Etat, il projette d’abattre toute l’ancienne aile Primaires du bâtiment ouest pour y construire ce qu’on y voit aujourd’hui. Le Collège est ainsi endetté d’une somme de 50 millions de FB pour 40 ans, mais il ne faut pas avoir peur de l’avenir si on ne veut pas mourir étouffé.
La durée de la construction entamée en mars 1976 sera assez pénible tant pour les élèves que pour les enseignants. Le bruit durant les examens de juin m'a laissé un très mauvais souvenir. On n'a rien sans peine.
L'inauguration aura lieu un beau dimanche de septembre 1977.
La semaine précédente est assez stressante. On apprend (comment?) que des vandales ont projeté de sévir au Collège avant l'inauguration: ils vont tout casser (?). Le Recteur panique, il nous en fait part; on a pitié de lui. Gillot (en battle dress) et moi veillerons durant une partie de la nuit précédant l'inauguration; d'autres nous relayeront, mais je ne sais plus qui. En réalité, rien ne se passe, on est sans doute (comme prévu) victimes d'une mauvaise blague. Les auteurs ne se sont jamais fait connaître, même pas 30 ans plus tard.
(Photo ci-dessus: premier échevin et président de l'Association de Parents, Jean-Marie Raxhon dévoile le chronogramme du père Bodaux; Marie-Françoise l'aide de son charmant sourire; ci-dessous, une banderole affiche fièrement «120 ans au service de la jeunesse».)
Après les flonflons de l'inauguration (jour de gloire pour Luigi, voyez son air ravi sur la photo), on reprend le collier. Toute la direction va émigrer petit à petit dans ce nouveau bâtiment: d’abord le préfet d’éducation, où se trouve maintenant Eric Laurent, préfet de Discipline, puis le directeur au premier étage, dans un local donnant sur la cour. C’est l’année où je
donne cours à Dominique Jost (3LG). La salle des profs prend alors ses quartiers définitifs en lieu et place de la préfecture d’éducation (qui n’est plus de discipline). Le père de Lannoy reste dans son petit bureau de l’entresol. On en profite pour construire la cour de récréation des Primaires, entre le bâtiment ouest et la piscine communale: c’est un autre Collège, pratiquement sans jardin, dont la dernière partie est largement entamée par le parking des professeurs. Le Collège grignote la Communauté…
10. Ouvrir les yeux sur le monde
Un collègue comme Marcel Lepièce, mine de rien, savait élargir le champ de vision des grands élèves. L'affiche ci-dessus en est un exemple: la conférence était organisée par les rhétos du Collège, poussés par Marcel.
Je ne sais pourquoi – moi qui n'étais pas prof de Rhéto – j'ai si souvent quitté
mon discours mathématique durant mes heures de cours en ces années-là. Jean-Paul Adam prétendait que j’avais l’air passionné par la guerre israélo-arabe du Yom Kippour (1973): je l’étais! A tel point que je laissais déborder mon obsession en classe, enfin dans les classes où je pouvais me permettre de perdre de temps en temps quelques minutes. Evidemment, dans la mémoire des élèves, ces moments privilégiés effacent les autres. Tant pis ou...tant mieux!
N’oublions pas la première crise du pétrole et les dimanches sans voiture laissant (fin octobre 1973) les trainaux envahir les rues de Verviers prématurément enneigées: quel spectacle! Sûr qu'il a marqué à tout jamais les adolescents de l’époque.
En 1974, la politique française envahissait nos petits écrans. C'était le duel Giscard-Mitterrand, l'élection du premier à la présidence de la république (ils n'ont que ce mot-là à la bouche...), puis le premier gouvernement Chirac avec la loi Veil de dépénalisation de l'avortement , et enfin l’onctueux Raymond Barre, "le plus grand économiste de France" d'après Valéry Giscard d'Estaing. Nous, on découvrait un éphémère (1 an) premier ministre wallon et socialiste – Edmond Leburton – à la tête d’un cabinet de 36 ministres (36 chandelles vite éteintes). Son successeur, Léo Tindemans (Tindemans meer dan ooit était un des slogans d'une de ses campagnes électorales), nouveau champion flamand dura 5 fois plus longtemps.
Le 30 avril 1975, les Américains fuyaient Saïgon puis élisaient à la présidence Jimmy Carter, un planteur de cacahuètes. De 1975 à 1979, les Khmers rouges se rendaient coupables dans leur propre pays, le Cambodge, d'un génocide de 1.7 million de victimes. Seul l'hebdomadaire français d'extrême droite Minute en parlait!...
Mais je m'égare, revenons au Collège.
Sous le titre "Le saviez-vous?...", je lis dans la Revue des parents de janvier 1976 ce texte non signé. Je donnerais ma main à couper que son auteur est le recteur L.Lefèbvre.
Malgré l'injustice de ce monde où l'argent tient lieu de mérite, il est des vertus qui finissent par s'imposer: leur silence même est lourd d'éloquence. C'est ainsi que récemment le Ministre de l'Education Nationale nous a communiqué l'inscription, parmi les Chevaliers de l'Ordre de Léopold II, de M. Louis DE DONDER. Personne, surtout pas le bénéficiaire, n'avait quémandé cette distinction, précieux encadrement d'une valeur qui scintille d'elle-même.
Nous aurions voulu offrir au nouveau décoré un cheval, afin de lui permettre d'entrer tout harnnaché dans l'Eglise. Mais vraiment, M. De Donder a-t-il besoin d'une croupe équestre pour souligner sa prestance chevaleresque ? Et puis, le cheval n'a pas mis Jeanne d'Arc à l'abri des coups de griffe d'Henri Guillemin. Que M. De Donder se rassure : parmi ses élèves, aucun ne trouvera, dans les petits papiers du Maître, rien qui puisse ternir, d'une ombremême fugitive, sa gloire sonnante et frémissante...
Pierre Crutzen (Rh.1978) vient de m'écrire quelques souvenirs de cette époque que je ne résiste pas à vous transmettre.
En 4e, la pièce de théâtre que nous avons montée avec le père Deseilles; le pauvre, lui qui revenait du Congo , il a séché avec nous ! (Un certain Jacques Camps aussi, d'ailleurs...) ... j'avais le rôle d'un directeur de prison. Prison située en bord de mer dans une cité touristique, et ne comptant qu'un seul prisonnier (Christophe Fettweis) et un seul gardien (Eric Deffet). Le directeur (Jean-Luc Bougard) de l'hôtel voisin, bondé, lorgnait les nombreuses cellules vides en vue d'étendre ses capacités d'accueil. Un compromis est trouvé, un premier client débarque (José Gonzalez). Mais peu de temps après., voici l'inspecteur (Jean-Marc Bréda)! Le brave Jean-Marc ne connaissait pas très bien son texte. Nous devions fréquemment "rattraper" le fil de l'histoire devenu aussi visqueux qu'une anguille... De surcroît, il était affecté d'un strabisme convergent ...important. Et une nouvelle fois, il s'égare dans ses répliques; mais impossible de deviner à qui il s'adressait et qui devait "rebondir" puisque son regard va dans une direction où personne ne se trouve! Nous nous emberlificotons dans une improvisation cul-de-sac-esque et quémandons désespérément l'aide du souffleur (Yvan Larondelle) pour retomber sur nos pattes. Le souffleur, qui effectivement soufflait et transpirait à grosses gouttes, feuilletant son livret dans tous les sens , nous lâche, abattu, désemparé : "je ne sais pas du tout où il est"...
Heureusement, on jouait pour un public de
personnes âgées qui étaient sans doute aussi perdues que nous!
Ca me rappelle soudain le thème d'une version latine (tiens, on dit ça, le thème d'une version?) en 5e je crois (à l'époque, on comptait en diminuant) donc sous le titulariat de Joseph Ruwet: "Caecus a caeco ductus" (l'aveugle conduit par l'aveugle)
A propos de Jean-Marc Bréda, garçon imprévisible mais attachant, j'ai appris qu'il avait eu une misérable fin d'existence: dommage!
Quant à Yvan Larondelle, sérieux, gentil et très intelligent, je me souviens surtout d'une intervention étonnante du père Dedeur, surveillant l'étude, et criant: "Larondelle, dans le coin!". J'en ris encore en imaginant le résultat géométrique de la scène...
11. L'école Sainte-Marie
Le recteur Lefèbvre profite de la reprise de l'école primaire Sainte-Marie de Heusy pour donner une promotion à Jean Mineur (l'homme à la MG verte): il devient ainsi chef d'école. Je m'étais imaginé que nous allions du même coup avoir un second centre de recrutement pour les humanités: que nenni! Mineur, parti à Heusy, a complètement oublié le Collège. Je crois même que c'est lui qui a profité de son label SFX pour attirer des Heusytois qui seraient normalement passés par nos préparatoires. En tout cas, je ne l'ai revu qu'au moment du 125e anniversaire, comme invité "de marque".
Pendant ce temps-là, les modernes avancent et nous sommes heureux de découvrir là aussi des talents qu'on ne soupçonnait pas. Si Charles Simonis s'est imposé dès son arrivée comme un étudiant de haute valeur, Patrick Hoffsummer (Patrick avait bifurqué en modernes en cours de route) passait plutôt inaperçu jusqu'à son éclosion au Tournoi européen des Jeunes inventeurs (1976) alors qu'il était en rhéto scientifique B (voir Souvenirs 23). Hoffsummer dirigeait déjà depuis quelques années une équipe de jeunes gens passionnés par des fouilles dans les ruines du château de Fanchimont, où ils vont d'ailleurs faire des découvertes remarquables. Son travail primé était intitulé: Fouilles archéologiques de Franchimont. Une véritable vocation.
N'oublions pas Albert Thiry qui brilla à l'émission-concours "A vos marques". Le Collège avait définitivement une corde de plus à son arc.
12. Souper des profs 1978
Habituellement, un souper rassemblant tous les jésuites, les enseignants laïcs et leurs conjoints, termine l’année scolaire. Chaque enseignant se fait un devoir sinon une joie de participer à cet événement. Le moment est idéal : nous sommes fatigués par les travaux de fin d’année, mais ceux-ci sont définitivement derrière nous et nous sommes à la veille de deux longs mois de vacances, ce que tout le monde nous envie (et parfois nous reproche). Ce rassemblement festif est couronné par le discours rectoral, qui est, comme d'habitude, un véritable régal. La tradition veut qu’on annonce officiellement ce jour-là les grands changements dans le personnel éducatif ou la communauté tels que l’arrivée d’un nouveau directeur, le départ d’un jésuite ou encore la mise à la retraite d’un collègue. Cette année, Louis De Donder atteint l’âge limite de 65 ans. Vu l’importance du personnage, tout le monde se réjouit d’entendre les effets oratoires de notre Recteur et la réponse, sans doute peaufinée, du vétéran mis pour la dernière fois sur le pavois. Raymond Gaillard, représentant de fait du corps professoral, a récolté l’argent pour le cadeau traditionnel remis au futur pensionné à cette occasion. Si mes souvenirs sont bons, Louis sera gratifié d’un petit frigidaire, nécessité absolue pour un célibataire isolé dans sa chambre du deuxième étage du bâtiment des Pères. A cette époque, il nous paraît évident que Dedon passera ses vieux jours à Verviers où presque tout le monde le connaît. Qu’irait-il faire à Thuin, sa ville natale où il n'a plus de
famille.
Le Recteur ne nous a pas déçus, mais la réponse du professeur émérite, dont le texte était millimétré, fut d’un lugubre réfrigérant. Pas un sourire, pas une plaisanterie, pas un merci, pas la moindre lueur d’espoir. Etait-ce la retraite des dix mille (dans l’Anabase de Xénophon) ou bien Napoléon quittant Moscou? En fait, Louis savait qu’une fois privé d’enseignement, sa vie n’aurait plus de sens. D'autant que sa soeur, qui occupait la maison familiale, était décédée depuis un an.
L’assemblée, attentive, restait silencieuse par respect pour le …défunt! Nonobstant les sourires lumineux décochés ce même soir à l’intention des épouses de certains professeurs par ce séducteur impénitent, le maître désormais sans disciple commençait son calvaire intérieur. Il durera 15 ans!
Mais, avouons-le, la préoccupation principale des enseignants ce soir-là était ailleurs. Le recteur Lefèbvre arrivait en fin de mandat et personne ne savait qui allait le remplacer. Les paris étaient ouverts. Les rumeurs portaient tour à tour le père Charlier et Jean-Marie Delobel à la tête de l'école. Il était aussi question d'un éventuel outsider, un jésuite extérieur (lequel?), qui viendrait coiffer nos deux collègues sur le poteau.
Le suspense était à son comble: nous étions tous persuadés que la nouvelle serait dévoilée lors de ce fameux repas annuel. Et puis, plouf! Le Recteur lui-même n'en savait rien...
13. L’ambition d’un homme (1978)
Jean-Marie Delobel, titulaire de poésie, a entamé une carrière syndicale que l’on peut qualifier de fulgurante. Délégué syndical au Collège en 1969, rapidement responsable régional de la CEMNL (Centrale de l’Enseignement Moyen et Normal Libre de la CSC), il en est devenu peu après vice-président national. Il se fait connaître ainsi au PSC, très vite proche du député, puis ministre Parisis, il obtient en avril 1973 un poste d’attaché de cabinet chez Léo Tindemans, alors vice-Premier ministre et ministre de l’Agriculture: "5 ans d'enseignement, ça suffit pour un homme!", dit-il. Il a résolument choisi la politique et abandonné l'enseignement...pour 3 mois! Il revient, penaud, pour les délibérations de juin. Des raisons familiales bien compréhensibles semblent être la cause de ce retour prématuré. Tindemans sera Premier Ministre de 1974 à 1978. Pour exprimer cette parenthèse dans son cursus professionnel, nous parlerons de son excursion au cabinet.
Nous ne serons donc pas surpris de voir Delobel s’impliquer dans les élections communales de 1976, l’année des fusions de communes. Il obtient la palme des candidats sociaux-chrétiens de Heusy et devient ainsi échevin du Grand Verviers. Un coup de maître.
C’est la fierté au Collège. En tout cas, il va subitement prendre de l’importance dans le petit monde des jésuites, qui pensent à notre avenir. C’est un homme qui ne restera pas simple professeur toute sa vie, c’est sûr.
Au Conseil de direction, il parle d’autorité dans tout ce qui concerne l’avenir de l’enseignement et, en particulier, du Rénové dont il est un ardent promoteur: c’est un monsieur bien placé au PSC et à la CSC… Nous nous retrouvons ensemble au conseil de direction du Collège, où nous avons été élus par nos pairs. Lors des réunions de ce conseil, il donne toujours l’impression d’être dans le secret des dieux: ça m’énerve prodigieusement. Peut-être suis-je un peu jaloux de sa fulgurante réussite?
Devenu directeur, il n’aura de cesse de faire gonfler le nombre d’élèves: cela ira jusqu’à 198 élèves en première! Contré par son propre conseil d’administration dans cette entreprise – on lui imposera un numerus clausus –, il remettra ça au moment de la reprise des Saints-Anges en se positionnant subtilement pour la fusion des deux écoles chapeautée par un seul directeur: lui! Encore une fois, il verra son entreprise contrecarrée par son autorité de tutelle. Cela ne veut pas dire que Delobel soit devenu un mauvais directeur: loin de là! Nous en reparlerons.