10. Les Arts d’ex vus de loin
Voilà près d’un an que ça carbure dans le cerveau de quelques-uns, en particulier dans celui du sous-directeur Dominique Embrechts.
Tout part d’un constat objectif: nous perdons beaucoup d’élèves après la deuxième année du secondaire. Ces jeunes ne trouvent pas au Collège d’option adéquate. Disons-le franchement, nos options sont uniquement intellectuelles. En pratique – si j’en crois les statistiques de 2002 –, nous préparons surtout de futurs ingénieurs et docteurs en droit, dans une moindre mesure des instituteurs et des médecins. Enfin, ils sont chaque fois un très petit nombre pour les études supérieures suivantes: architecture, HEC, psychologie, sciences politiques, philologie germanique, spéciale-maths, etc. Dans les autres disciplines, c’est encore plus rare.
Notre école n’offre rien à ceux qui cherchent à s’orienter très tôt vers le sport, les arts ou le technique commercial. D’autres écoles catholiques de la région comblent ce déficit, sauf justement en arts d’expression. Je suppose que cette conjonction d’événements – des élèves nous quittent en cours de route et aucune option Arts d’ex n’existe à Verviers – est le déclencheur de la procédurellancée par SFX pour ouvrir cette option en 3e.
Nous savons d’emblée que cette section ne se développera jamais exagérément, les parents sont souvent très réservés sur ce genre d’études. Mais nous pouvons donner une nouvelle ouverture au Collège, qui sera sûrement bien accueillie par quelques élèves et la plupart des professeurs.
Plusieurs collègues sont des fans de théâtre, ou plutôt des amoureux des planches, la chanson faisant d’ailleurs partie de leur répertoire. Je pense plus spécialement à Jean-Philippe Thonnart et à Bénédicte Winandy, que j’ai vus en action à plusieurs reprises. Léon Ernst a aussi ses qualités de metteur en scène. On pourra aussi compter à l’occasion sur le savoir-faire de Joseph Kopetti en matière de cinéma. Et puis, à bien y repenser, les cabarets nous ont montré les dons de Marie-France Schoonbroodt, par exemple. Bref, nous ne devrons pas aller chercher ailleurs ce que nous possédons déjà pour lancer la nouvelle option.
Pourtant, d’après quelques échos, l’entente ne serait pas parfaite dans ce petit groupe, il y aurait même des tensions, du moins au début… N’étant pas mêlé de près à cette création d’option, je ne peux pas en dire plus, sinon qu’un beau jour j’ai appris que les différends étaient aplanis, Léon s’étant raccommodé avec Jean-Philippe et Bénédicte. Voilà qui fait plaisir!
En pratique, l’option est ouverte en septembre 2004. Les deux premiers professeurs qui se répartissent les 4h de cours de 3e sont Marie-France et Jean-Philippe. Avec Bénédicte, ils ont la bonne idée de composer, à l’intention de leurs collègues intéressés, un texte destiné à décrire les grandes lignes de leurs objectifs de cette première année.
«Le pôle théorique (donné par Marie-France) a pour but de former l’élève à la critique par l’acquisition des savoirs, des codes et des langages liés aux différents domaines des arts d’expression (théâtre, cinéma, musique, peinture, médias…).»
Plus loin: «Les élèves ont entamé le cours par une réflexion sur les arts d’expression en analysant une émission d’Arte consacrée aux émissions de casting.» J’apprends avec intérêt qu’Henri Leclercq a proposé ses services pour réaliser avec ces débutants les voix off d’un DVD sur Bill Evans (musicien de jazz) entièrement réalisé par ses soins. Voilà comment on peut s’initier au travail de compréhension et de préparation de lecture (découpage en idées, phrasé, travail de la voix…). C’était aussi l’occasion d’une approche technique de l’enregistrement (synchronisation avec les images, prises multiples) dans un domaine marginal pour eux (la musique de jazz).
«La partie pratique (donnée par Jean-Philippe) invite le jeune à prendre conscience de ses propres moyens de communication afin de les cultiver, principalement par le biais de l’activité théâtrale et de l’interprétation de textes.» Le texte continue en décrivant plus particulièrement le programme du second semestre et la partie «activité théâtrale», soit la découverte progressive de l’action scénique: «Un sujet, une situation dramatique (une histoire), des personnages caractérisés (du point de vue physique, social et psychologique) investis d’un problème, d’une humeur et d’objectifs à atteindre par le biais d’actions successives et confrontées à des obstacles.» Etc.
En deux pages, je découvre un nouveau monde. J’ai déjà plus de respect pour cette option qui me paraissait un peu folklorique. Ah! les préjugés…
La norme de création du cours est de 8 élèves alors que nous en comptons 14 le premier jour: nous sommes à l’aise.
Tout n’est pas rose pour autant. En particulier lors des délibérations du mois de juin de cette année 2005. Je me rappelle une réflexion d’un Thonnart dépité en sortant d’un conseil de classe: «Ils sont en train de nous les buser tous!» Il parlait comme si ses collègues de branches (maths, langues, etc.) s’acharnaient sur les élèves de cette option! Je suis persuadé qu’il n’en était rien. Ils appliquaient, très logiquement, les mêmes critères pour tous les élèves de leur cours, quelles que soit leurs options. Sa crainte était de voir ainsi la majorité des élèves de l’option Arts d’ex affublés d’un examen de passage voire d’un refus de passage en 4e. Et comme les effectifs étaient assez restreints, une délibé trop sévère pouvait mettre en péril la survie de l’option à peine ouverte.
Ce risque justifie-t-il des mesures de clémence spéciales à l’égard des Arts d’ex? Question délicate à laquelle on ne peut répondre qu’en… jésuite: non, mais il faudrait quand même voir l’intérêt du plus grand nombre, ce qui donnerait tous comptes faits un oui, mais…
C’est au directeur de donner d’emblée des objectifs précis. Et pas en cours de route. Je me souviens avoir entendu dire, en pleine délibération, par un préfet des Etudes pourtant très rigoureux, le père de Lannoy: «Si ça continue, on ne pourra pas dédoubler l’an prochain.» En clair, ça voulait dire que si les profs continuaient à buser des élèves, certains de leurs collègues de l’année suivante perdraient leur place… Pression intolérable! ai-je pensé à cette époque, mais je n’ai pas osé le dire à haute voix. Lorsque nous jugeons en délibération, Dieu seul connaît les motivations profondes de chacun. En l’occurrence, le préfet voulait changer les nôtres instantanément.
Il m’a toujours paru plus sain d’énoncer préalablement des règles claires, même si elles sont choquantes pour les non-initiés. Ou bien on s’en tient au principe que chaque élève d’un même cours doit être évalué selon les mêmes critères, ou bien on applique des critères différents selon les options choisies. Moi, ça ne m’aurait pas gêné de savoir que certains élèves devaient avoir un minimum de 50% pour éviter l’examen de passage en maths, et d’autres, dans d'autres sections, se contenter de 40%. Ce qui est d’ailleurs le résultat de certaines délibérations…
D’autre part, quand j’étais jeune prof (en 1966-67), les critères de réussite n’étaient pas les mêmes dans chaque branche. Les 50% étaient seulement exigés en latin, en français et en religion. Dans les autres branches, on «réussissait» avec 40% tant qu'on obtenait une moyenne génale sur l'ensemble des branches d'au moins 50%.
Je ne sais pas si cette façon d’apprécier les résultats a jamais été envisagée, ni si des consignes ont été données. Ce n’est plus mon problème et je ne suis plus dans le coup pour bien juger.
D'autre part, j'ai trop peu connu cette option pour en dire davantage, c'est-à-dire très peu.
En tout cas, si j’en juge par les photos (de Philippe Zintzen) des représentations théâtrales des élèves de cette option sur le site du Collège des années 2010 et 2011, tout baigne!